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Et si le fret ferroviaire était lui-même un logisticien ?

En France, une commission d’enquête parlementaire s’interroge sur l’avenir du fret ferroviaire, suite à une décision d’entreprendre une formule de discontinuité de l’opérateur Fret SNCF, qui provoque un séisme dans le pays.

Et si le fret ferroviaire était lui-même un logisticien ?

Au-delà de cet évènement, il nous a semblé intéressant d’interroger la place du ferroviaire dans les flux industriels actuels, et pourquoi cela fonctionne parfois mieux ailleurs et dans quelles circonstances.

Le bon vieux train de marchandises est l’image qu’on en retient souvent : lourd, lent, bruyant, il représente la « mauvaise » facette du rail, le côté « sale » dit-on. Dommage. Car le transport de marchandises est une activité économique essentielle qui implique des mouvements importants de biens manufacturés, lesquels remplissent tous les jours les rayons de nos magasins préférés.

Depuis l’origine, le train a transporté les marchandises d’un fournisseur A vers un consommateur B, souvent une usine de transformation. Quels meilleurs exemples que sont les mines à charbons ou à minerais, produisant des matières premières vers des cokeries, des centrales électriques ou des aciéries. Durant plus d’un siècle, la mission « marchandises » du rail s’est concentrée sur cet « univers noir », celui de la première révolution industrielle. On retrouve d’ailleurs au travers du mineur, du sidérurgiste et du cheminot une sorte de même pédigrée, un groupe social particulier.

L’univers charbon/acier n’est plus le monde d’aujourd’hui

Le monde a cependant grandement changé, non seulement après la seconde guerre mondiale mais singulièrement ces dernières décennies. Les mines à charbon ont fermé dans de nombreux pays d’Europe et la sidérurgie s’est contractée. Du coup, le rail s’est retrouvé sans missions, ou du moins avec une quantité de missions moindre que jadis, puisqu’il n’est désormais plus le transport dominant. Mais précisément, s’il n’est plus dominant, c’est qu’un autre mode a pris le relais : il s’agit bien-sûr du camion. Mais pourquoi ?

Le transport de marchandises est un domaine compliqué, caractérisé par la très grande hétérogénéité des agents qui participent à son fonctionnement, par la complexité de leurs interactions, explique une belle étude parue en 2020. Or la culture ferroviaire n’a jamais pu appréhender complètement cette complexité. Lors de sa période de dominance, le rail s’est contenté de n’être qu’un simple transporteur incontournable. Cela lui suffisait et on a cru que cela pouvait rester en l’état des décennies durant. Et là est l’erreur…

Un éternel sous-traitant

Se positionner en simple transporteur signifie être un éternel sous-traitant d’un donneur d’ordre. Or si le donneur d’ordre disparait (les mines) ou modifie ses choix, la conséquence sur le rail est immédiate : des triages déserts et des voies de raccordement devenues inutiles. Certains, sur l’échiquier politique, en sont venus à la conclusion que le donneur d’ordre devait être l’État, et non une kyrielle de chargeurs privés. But avoué : sauver le soldat cheminot et le système ferroviaire avec tous ses particularismes. Un leurre…

Car la bonne tenue d’une économie nationale ne tient pas à sa quantité de trains mais bien à la présence d’une industrie robuste, résiliente et abondante, qui serve la demande – ou qui la crée. Or le monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire les besoins de consommation de la population (que l’on peut critiquer, mais c’est un autre sujet), a créé une abondance incroyable de flux de transport qui se croisent dans tous les sens. Un chargeur aujourd’hui peut choisir d’expédier un flux de marchandises soit homogène et régulier, soit fréquent ou moins fréquent, soit en gros volume ou en petite quantité. Trois variables que le rail a toutes les peines du monde à appréhender.

Il n’y a pas meilleur exemple que le petit colis, celui qui fait moins d’un m³. Jadis présent dans le secteur ferroviaire, il était à la croisée du transport de voyageurs (rapidité) et du transport de marchandises. Il n’a jamais pu évoluer car au-delà du wagon, il fallait investir dans de grands entrepôts de tri et apporter une réactivité maximale. Il n’y avait ni l’argent ni la volonté de modifier les processus de travail. Ce sont donc des « méchants privés » comme DHL, Amazon et autres qui ont pris le relais. Comme ces gros groupes devenaient des « chargeurs » à part entière, évoluant dans des zones mondiales d’état de droit et de commerce libéralisé, ils avaient donc le choix du transport. Ce fut le camion… et l’avion. Le train devenait hors-jeu, signifiant notamment en France la disparition du Sernam, et de SNCB-Colis en Belgique.

La logistique n’est pas à proprement parlé un métier de cheminot. Du moins la logistique d’aujourd’hui. Pourtant le train a de nombreux atouts à faire valoir.

Les priorités étant au voyageur, la logistique n’est jamais été à proprement parlé un métier de cheminot. Du moins la logistique d’aujourd’hui, jugée très capitalistique. Celle d’hier, avec ses trains de charbons lents et lourds, ses stocks abondants, convenait parfaitement au rythme du chemin de fer. Celle d’aujourd’hui, avec des milliers de PME qui n’envoient que 8-10 palettes par jour, avec ses commandes « jusqu’à 18h », avec sa réactivité maximale « livraison dans 2-3 jours », a mis le mode fer sur la touche.

On nous rétorquera évidemment d’oublier l’envers du décor. Le travail en entrepôt, le monde des livreurs ? De « l’esclavagisme moderne », entend-on par-ci. Le flux tendu réclamé par la population ? Du « consumérisme sauvage qui détruit la planète », écrit-on par-là. Peut-être, à voir, à nuancer. Mais le train pour le coup devrait-il alors être le symbole de la lenteur, de la sobriété et de la patience, voire de la résignation ? C’est un beau sujet de sociologie, mais ce serait aussi un enterrement de première classe du mode ferroviaire.

Des raisons d’espérer

Quelques rares industriels ont malgré tout misé sur le train, mais ils l’ont fait à leur sauce. L’autrichien LKW Walter, le polonais CLIP ou l’italien Ambrogio en sont des exemples emblématiques. Il y en a d’autres. Mais comment font-ils ? En intégrant dans leurs flux leur expérience des handicaps du train (lignes fermées, travaux, trains calés, grèves,…). En ayant leur propres installations dédiées, ce qui leur permet d’avoir les heures d’ouverture comme ils l’entendent. En ayant leur propres processus de travail dans leurs propres entrepôts. Bref, en gérant tout eux-mêmes et en encadrant les coûts. Ils ne sont pas « entreprise ferroviaire », mais délèguent le trafic train à l’opérateur de leur choix, une chose permise grâce à la politique européenne de libéralisation. Tout cela n’était pas possible il y encore vingt ans…

Ces logisticiens peuvent donner des garanties à leurs clients mais ont aussi le choix des flux, donc des routes où ils opèrent. Or cela dépend grandement des régions d’Europe disposant d’entrepôts, de logistique et d’usines. Cela dépend grandement aussi de la qualité du réseau ferroviaire : faut-il à chaque fois fermer une ligne la nuit pour de simples entretiens, quand juste à côté, l’autoroute fonctionne avec des voies déviées malgré les chantiers ?

La logistique peut devenir un axe de différentiation vis-à-vis de la concurrence, dans certaines circonstances bien maitrisées.

Remettre le train au coeur de la logistique dépend grandement aussi des dessertes locales : le wagon isolé peut bénéficier d’un meilleur environnement économique s’il est géré par de petits opérateurs de proximité, qui savent cadrer les coûts et qui font le travail « à la sauce locale », et non suivant des procédés nationaux lourdement négociés. Encore faut-il là aussi de la qualité et de la fiabilité.

Généralement évalués entre 10 et 15 % du chiffre d’affaires, certaines entreprises ont réussi à faire de la logistique non pas un coût mais un revenu. La logistique peut en effet devenir un axe de différentiation vis-à-vis de la concurrence. Il est admis que dans certaines circonstances bien maitrisées, une solution plus onéreuse qu’une autre (le train ?) peut permettre des économies directes et des gains annexes plus importants (parts de marché par différentiation du service offert…).

On mesure cependant à quel point il est indispensable dans ce cas à ce que le mode ferroviaire soit pertinent et fiable. Sa compétitivité et sa rentabilité sont directement liées à leur capacité à maximiser les taux de remplissage des trains et à minimiser les kilomètres à vide. C’est évidemment difficile en chimie, où un wagon-citerne spécifique pour un produit ne peut transport que le produit en question, et pas un autre, sauf coûteux nettoyage.

Maîtrise des coûts et de la fiabilité est peut-être le sens à donner à la stratégie récente de MSC, le numéro un mondial du conteneur, qui a créé sa propre entreprise logistique (Medlog), sa propre filiale ferroviaire (Medway) et investi maintenant en propre dans des terminaux multimodaux, tant dans les ports que sur le Continent. Objectif : maîtriser le business, sa qualité, et engranger de nouveaux revenus grâce à une différenciation sur le service rendu. Peut-être une voie d’avenir du fret ferroviaire.

Auteur :
Frédéric de Kemmeter     www.mediarail.wordpress.com

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