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Mettre les camions sur les trains ? Cela dépend de plusieurs facteurs

Vouloir doubler la part modale du rail d’ici 2030 n’implique pas de s’attaquer uniquement au trafic routier.

Mettre les camions sur les trains ? Cela dépend de plusieurs facteurs
 
La technique de transport de semi-remorques est désormais relativement mature, mais il faut aussi convaincre les chargeurs. Il faut donc que le transport ferroviaire convienne aux industriels, qui sont les premiers concernés.

On retrouve le même thème un peu partout et dans tous les milieux : il faut mettre les camions sur les trains, les autoroutes sont saturées. C’est vrai. Mais ce qui est encore plus vrai, c’est que cela existe depuis 1958 en France avec la technique de chargement dite « Kangourou », à une époque où les autoroutes et les grands parcs industriels n’existaient pas.

Les choses ont fortement évolué depuis pour aboutir aujourd’hui au transport intermodal, qualifié en France « d’autoroute ferroviaire ». Il est important à ce stade de bien distinguer ce qui relève du modèle routier (les camions, semi-remorques et caisses mobiles), du modèle maritime qui ne concerne que les conteneurs.

D’abord comprendre la technique…


Si le volume de toutes ces « caisses » semble paraître identique, en réalité c’est la manutention de ces caisses qui diffère :

- Le conteneur, c’est la marque de fabrique du monde maritime, un secteur mondialisé qui est à la base… de la mondialisation. Les 15 millions conteneurs en circulation dans le monde sont caractérisés par leur robustesse et leurs cotes ISO sont des normes officielles établies dans les années 60. Ils sont manutentionnés par le haut à l’aide d’un spreader qui est un palier d’accroche standardisé dans le monde entier;

- Les caisses mobiles sont une invention terrestre des chemins de fer, et leurs cotes ont été basées directement sur le gabarit ferroviaire, soit quelques centimètres de plus que les conteneurs. Elles ne vont jamais sur bateau. Ces caisses étant pour la plupart bâchées, elles doivent être manutentionnées par le châssis, donc par le dessous. Il en est de même pour les semi-remorques, qui ne sont jamais que des caisses mobiles conservant leurs essieux. La manutention se fait via 4 pinces, et non un spreader comme pour les conteneurs. Les semi-remorques peuvent en revanche être manutenionnées dans des ferries.

Cette accumulation onéreuse d’équipements distincts a abouti finalement à la conception d’un combiné spreader + pinces, qui peut être chargé soit sur un portique, soit sur un reachstacker.

Les conteneurs ISO n’ont plus changé de dimensions depuis leur invention, car les coûteux porte-conteneurs sont construits sur base desdites dimensions. Sans entrer dans les détails, il existe cependant des conteneurs qui ont gagné en hauteur et certains même en longueur, sans remettre en cause la largeur.

En revanche, les semi-remorques transbordées par pinces devaient disposer de renforcements au niveau du châssis et de quatre points d’ancrage dûment codifiés. Cette contrainte engendrait – selon les sources – un supplément de 15 à 20% du prix normal d’une remorque routière, ce qui a pu faire fuir plus d’un chargeur…

Chacun son business…

Du point de vue politique, juridique et technique, une distinction dommageable fut entretenue jusque dans les années 90 entre le conteneur et le camion/caisse mobile. Il en résulta la création de doublons générés dans chaque pays au niveau de l’organisation de ces trafics et des terminaux :

- France : Novatrans (camions) – CNC (conteneurs) ;
- Belgique : TRW (camions) – Inter Ferry (ITF – conteneurs) ;
- Allemagne : Kombiverkehr (camions) – Transfracht (TFG – conteneurs) ;
- Italie : CEMAT (camions) – ITN (conteneurs) ;
….

Le transport des conteneurs relevait directement du service public de fret ferroviaire tandis que le transport de camions/caisses mobiles relevait des routiers et des chargeurs, avec obligation d‘utiliser le monopole ferroviaire. Dans certains cas, des terminaux distincts étaient construits dans certaines villes avec une utilisation très modeste de l’un comme de l’autre…

La libéralisation des années 90/2000 a considérablement ouvert les perspectives de massification et de rentabilisation en dépoussiérant les règles juridiques rigides et le conteneur aujourd’hui fait partie de ce qu’on appelle le transport intermodal, sans distinction de propriétaire ni de technique. Des géants comme le suisse HUPAC ou l’allemand Kombiverkehr disposent aujourd’hui de terminaux uniques et acceptent tous les types chargements.

Pour les petits indépendants – et les autres -, qui ne peuvent pas déposer leur remorque dans un terminal, le problème était d’accepter le tracteur sur un wagon. Diverses contraintes techniques ont abouti à une diversité de techniques créatives :

- Dans les années 70, un wagon ultraplat et à petites roues fut créé dans l’aire germano-alpine. Cette invention n’arriva cependant jamais dans les pays de l’Atlantique pour des raisons contradictoires selon à qui on s’adresse ! Ce système permet donc d’embarquer le camion complet (semi-remorque et tracteur), ainsi que le chauffeur, qui ne reste pas dans son camion mais prend place dans une voiture voyageurs attelée au train. Cette autoroute ferroviaire nommée « ROLA » en allemand circule sans grande rentabilité à travers la Suisse et au Tirol.

- Dans les années 90/2000, la SNCF soutînt fortement un industriel alsacien qui proposa – et propose toujours -, son concept dit « Modalohr », terme qu’on ne peut plus utiliser de nos jours suite à un litige juridique. C’est donc « d’autoroute ferroviaire (AF) » qu’il faut parler en France, la SNCF ayant créé une filiale dédiée à son exploitation, Viia. L’ AF traversant les Alpes et créée en 2003 entre Aiton (FR) et Orbassano (IT) est la seule à encore proposer le transport des tracteurs, mais le découplant de la semi-remorque. Depuis lors, d’autres AF ont vu le jour depuis Calais et Bettembourg (LU);

- La recherche effrénée du « déchargement sans grue » a abouti en Allemagne au concept très technologique de CargoBeamer. Il s’agit d’un plateau qui translate sur deux béquilles insérées dans le sol, ces béquilles allant déposer ledit plateau sur un wagon dont les bords ont été rabaissés. Conscient du haut degré de sophistication, CargoBeamer a rendu son plateau conforme à un transbordement vertical classique par reachstacker, pour desservir ainsi les terminaux non munis des béquilles.

AF à la française et CargoBeamer se font maintenant une concurrence féroce sur les flux Europe du Nord-Méditerranée, car leurs terminaux respectifs sont incompatibles. L’AF utilise des wagons à chassis pivotant à 45° (photo du milieu) alors que CargBeamer utilise un déchargement transversal très sophistiqué (photo du bas).

Les dimensions des remorques évoluent petit à petit à la hausse, avec aujourd’hui un maximum de 13,60m de long et 2,70m de haut (4m au total avec les roues), pour un emport de 33 palettes ISO (ou 90m³).

Au niveau technique, l’usage du plateau – que l’italo-allemand TXL a notamment breveté -, permet désormais de s’affranchir des contraintes de la remorque renforcée dont on parlait plus. Tout le monde peut maintenant accéder au train intermodal. Plus d’excuses donc pour éviter le train ?

Mais alors pourquoi tant de camions sur nos routes ?


Comme toujours, ce sont les réalités du terrain qui carbonisent toutes les théories, aussi fines soient-elles. Contrairement à la ROLA, l’expérience montre que les systèmes Lohr et CargoBeamer n’accueillent finalement que les seules semi-remorques, sans tracteurs ni chauffeurs.

Soyons clair et honnête : sauf contraintes fortes, les grandes sociétés de transport usant abondamment de la main d’œuvre de l’Est n’ont que faire de la technique ferroviaire. Pour elles, seule la compétitivité compte. Durable tout ça ?

Ces pratiques commencent à se retourner contre ces transporteurs, qui doivent maintenant faire face à une pénurie de chauffeurs et sont contraints parfois à refuser des clients. Cela ne remplit pas encore les trains mais un mouvement – une petite ondée -, se dessine.

Cinq raisons expliquent l’abondance toujours persistante des camions sur nos routes :

- D’abord ce différentiel entre les coûts d’exploitation du rail et de la route, généré par la non prise en compte des effets négatifs externes – pourtant reconnus -, comme la pollution, les accidents et la déplorable condition sociale d’une partie des chauffeurs ;

- Ensuite l’inévitable dernier kilomètre qui, chez certains chargeurs, signifie parfois un trajet de 200km pour rejoindre un client lointain. Il n’y a en effet pas de terminaux partout là où il le faudrait et dans l’hypothèse où il y en aurait plus, cela signifierait des trains plus nombreux mais moins chargés, ce que les réseaux n’aiment pas (saturation avec des trains trop courts) ;

- Le service ferroviaire se caractérise toujours par sa seule fonction de transport ferré, sans s’occuper de « l’avant » ni de « l’après ». Le problème est que les entreprises de camions doivent trouver un correspondant à l’étranger pour prendre en charge leur remorque au terminal. Seuls de grands transporteurs peuvent miser sur un réseau de correspondants. D’autres craignent les vols de remorques et préfèrent faire les trajets avec leurs propres chauffeurs…

- La structure industrielle de certains pays est composée de PME qui ne livrent qu’en local ou régional, et dont les volumes sont trop faibles pour une utilisation ferroviaire. Bien entendu certaines PME exportent mais avec parfois quelques palettes par jour (un viticulteur par exemple), ce qui ne remplit même pas un camion et à fortiori un train ;

- Enfin la question des flux logistiques, dont nous avons abondamment parlé dans ces colonnes. Le trajet train doit correspondre à ce que demande l’industriel ou le chargeur, même avec premiers et derniers kilomètres. La logistique est un élément essentiel de la compétitivité des entreprises. Quand on demande un Rennes-Mulhouse, il ne faut pas proposer un Nantes-Metz « parce que ça convient mieux à l’exploitation ferroviaire… ».

Mettre des camions sur les trains est donc tout autre chose que des éléments de langage pour séminaires ou des théories de cabinet de consultance.

Cela demande une connaissance fine à la fois du secteur du fret ferroviaire mais surtout aussi des flux logistiques par branches industrielles, car la logistique du yaourt n’a rien à voir avec celle de l’ameublement, des plaques d’acier ou des citernes chimiques. Tout est distinct, tout est complexe. C’est le monde d’aujourd’hui et il n’est pas près de changer. C’est donc bien le rail qui doit s’adapter, et non l’inverse…

Auteur: Frédéric de Kemmeter              www.mediarail.wordpress.com

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