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Trains et tourisme, le besoin d’un renouveau

Depuis longtemps, le train a été associé au tourisme et à la découverte d’un pays ou de l’Europe. Pourtant, le tourisme de masse semble avoir déserté le plus ancien mode de transport encore existant au profit de l’aviation et de l’automobile.

Trains et tourisme, le besoin d’un renouveau

L’occasion de se pencher, en cette période estivale, sur les atouts du train dans un marché touristique différencié.

« Le train, déjà un avant-goût du voyage ». Tel était le slogan du train couchettes vers les destinations ensoleillées ou vers la montagne en hiver, que ce soit en trafic national dans les grands pays (France, Allemagne), ou à l’international. À une époque, c’est à dire au début des années 70, où les autoroutes ne menaient pas encore vers toutes les plages de Méditerranée, le train pouvait encore s’imposer comme l’alternative.

Mais la place du train comme transport dominant commença à être remise en question dès le milieu des années 60, même sur de longs parcours.

En 1969, le trajet Paris-Avignon-Sud pouvait se faire intégralement par autoroutes A6 et A7, ouvrant bien des facilités à la Provence et à la Méditerranée. En décembre 1972, la liaison autoroutière Bruxelles-Mons-Paris était ouverte à la circulation. Le parcours autoroutier intégral vers Nice et Narbonne devenait possible dès 1975. Dès le début des années 80, l’autoroute passait les Pyrénées et connectait les Costa espagnoles. Pour toute l’Europe du Nord, l’accès vers le sud s’en est trouvé soudainement facilité.

L’évolution techniques des autos fait qu’un trajet de 800 à 1000km n’est désormais plus l’aventure d’hier sur la nationale 6 et ses auberges de passage.

Un peu plus à l’Est, l’Autriche inaugurait au début des années 70 l’autoroute A13 en plein col du Brenner, pour former le plus gros point de trafic européen, entre Munich et Vérone. Cette autoroute ouvrait l’Italie et la Toscane au tourisme de masse allemand.

Repoussant encore davantage les limites, les agences de voyages misèrent sur des vacances plus lointaines faciles à réserver, en Sicile, en Grèce, en Turquie, au Portugal et dans les Canaries (Espagne), ce qui détourna un peu plus le public du nord de l’Europe vers les avions, quand le soleil n’était à peine qu’à deux ou trois heures de vol, pour un prix tout compris.

Tous ces développements routiers et aériens ont graduellement mis en minorité la place du train dans le transport des touristes. Comment se réinventer dans ce cas-là ?

Deux options s’ouvrent au tourisme en train.

Tourisme de masse

Attirer les voyageurs en augmentant le confort… et l’ambiance à bord. Telle fut la stratégie de Jacques Cornet, à la SNCB, qui mit en route au début dès années 70 des trains de nuit vers les Alpes en hivers, et vers les plages du sud en été.

L’idée phare était de se différencier des autocars longue distance qui commençaient, eux aussi, à prendre des parts de marché.

Un autre voyagiste bien connu, le groupe TUI de Hanovre, avait également imaginé des trains spéciaux pour ces clients. Trente magnifiques voitures de type Bvcmh sortirent du constructeur Waggon Union de Berlin. Elles ont la particularité de reprendre l’essentiel des dispositions constructives des voitures VSE (Eurofima), qui étaient en cours de livraison en seconde moitié des années 70.

De son côté, la SNCF avait lancé en 1950 France-Tourisme-Service, qui fit circuler des trains de nuit dans le même style que Railtour (SNCB) et TUI au départ d’Amsterdam et Bruxelles. La plupart de ces trains d’agence étaient des trains-autos, avec pour destination exclusivement la France. Railtour, de la SNCB, ne pouvait donc pas proposer de destinations françaises, mais seulement espagnoles et italiennes. La coopération où chacun reste chez soi…

TUI, de son côté, ne s’embarrassait pas de ces problèmes et menait ses trains où il voulait, mais les destinations étaient là aussi l’Espagne et l’Italie.

La funeste combinaison auto-meublé-famille
Il est difficile d’évaluer pourquoi ces trafics se sont lentement effondrés au début des années 90. Osons quelques observations.

Il y a d’abord le produit « forfait tout compris » train+hôtel qui a pris l’eau pour les destinations dites « proches » (1000km). La France et l’Espagne se caractérisent davantage par la location de meublés – du style Pierre & Vacances ou Maeva -, plutôt que l’hôtellerie moyenne « avec vin gratuit à table ».

Le camping a aussi pris une ascension fulgurante, et ce secteur n’a plus rien à voir avec le style « exotique » des années 60. Les caravanes sont fatalement incompatibles avec le transport ferré.

Les ménages de la génération X, plus débrouillards et davantage informés sur les offres et les prix, préfèrent former eux-mêmes leur budget vacances plutôt que de s’en référer à une agence qui impose ses propres produits « toujours trop chers ». Les autos de plus en plus confortables et l’internet version booking.com offrent désormais une liberté de choix inépuisable quant aux vacances qu’on désire obtenir. La contrainte rail est dès lors évacuée et le choix de l’auto, sur 800 à 1200km, est toujours privilégié.

Pour le dire autrement, la mort du train de vacances, c’est la combinaison auto-meublé-famille. Cette formule prisée permet tout simplement de déménager son domicile au soleil le temps d’une ou deux semaines. La voiture demeure indispensable pour les visites, le restaurant et d’autres choses à faire dans les environs. Maîtriser son temps, son budget et ses déplacements, c’est exactement ce que recherchent des millions de ménages. Trains de nuit ou TGV à 300 à l’heure n’ont pratiquement pas d’armes pour contrer ce phénomène sociétal…

Des trains de nuit, malgré tout
On retiendra que les trains de nuit d’été pour le tourisme de masse n’ont pas été abandonné pour autant. En pleine pandémie, le privé tchèque Regiojet lançait en 2020 un Prague-Rijeka qui eut un succès fulgurant, avec près de 60.000 personnes sur les trois mois de circulation de ce train.

En Allemagne, un Hambourg-Lörrach (nord de Bâle) circule en été avec la firme BTE tandis qu’un ‘Urlaubs-Express‘ circule de Düsseldorf à Vérone en période estivale. t

Toutes ces initiatives sont louables mais on se rend compte rapidement qu’avec un train chaque samedi, le rail n’est plus qu’un marché de niche pour connaisseurs. De plus, SNCF, Trenitalia, Renfe ou Deutsche Bahn visent exclusivement le gros volume de voyageurs et sont davantage préoccuppés par les taux de remplissage et la couverture des coûts. Le tourisme ne semble être juste qu’une annexe marketing…

Certes, il semblerait que la génération Greta soient plus conscientisée mais cela ne mettra pas davantage de trains sur des voies déjà bien saturées par endroit. Et puis n’importe quel observateur un peu honnête a pu constater que les moins de trente ans sont – et restent – de grands utilisateurs des aéroports…

Et de fait, une enquête française Ipsos pour le club automobile Roole démontre aussi des différences d’approche du mode de transport selon les tranches d’âge dans la population. Alors que 65 % des 18-34 ans vont partir en vacances au volant d’une voiture, le pourcentage grimpe à 81 % pour les plus de 55 ans. Les transports collectifs seront la solution pour 34 % des 18-24 ans contre 20% des plus de 55 ans. Les jeunes choisissent souvent leur moyen de transport pour des raisons de prix (32 %) et à 19% pour des raisons écologiques.

Il y a donc une vision à revoir, pas seulement au niveau des tarifs. Débarquer à Avignon quand le camping est à 50km au milieu du Lubéron pose le problème central de la liaison le porte à porte que le rail peine – ou ne veut pas résoudre, estimant que le dernier kilomètre « n’est pas de son ressort, mais des affaires privées du voyageur ». Une vision périmée de la mobilité qui exclut de potentiels clients d’un transport décarboné…

Il va falloir aussi réconcilier le transport ferré avec le monde des agences de voyage, notamment en ce qui concerne l’épineuse question des commissions, du partage des données et du magma de la tarification. Nous sommes en 2022, le digital aurait dû faciliter l’instauration de solutions novatrices, mais les rares efforts sont pulvérisés par le droit commercial…

Néanmoins, il y a de l’espoir avec des trains de nuit concoctés par European Sleeper ou Midnight Train, bien que ce ne soit pas spécifiquement des trains de vacanciers mais des trains de nuit tout court.

Tourisme de luxe

Il y a cependant un secteur où le rail a une belle carte à jouer, c’est dans le tourisme de luxe. Ici, plus question de familles à la recherche du soleil vite fait bien fait, mais d’une véritable expérience gastronomique et touristique. De la haute couture ferroviaire pour un public privilégié.

Depuis le début 1982, un « nouveau » Venice-Simplon-Orient-Express (VSOE) circule de Calais à Venise en passant par Paris-Est, Innsbruck et Vérone. Ce train est exploité par l’entreprise britannique Belmond, propriété de LVMH depuis fin 2018. Il comporte 17 voitures d’origine entièrement restaurées.

Les prix sont à l’avenant : comptez 3.900 euros pour une nuit à bord entre Paris et Venise. C’est un voyage cinq étoiles. Outre une voiture-bar où les barmans préparent d’élégants cocktails au son d’un pianiste résident, les trois voitures restaurant offrent un service quatre plats du plus haut niveau. Robes de soirées pour les dames et tenue smoking pour les messieurs sont de rigueur. Outre le côté gastronomique, on retiendra la prouesse du chef qui confectionne les repas dans un espace étroit de 12 m2. Après une nuit pour laisser reposer l’estomac, le détour par Innsbruck permet au train d’arriver au petit matin dans le Tirol et d’y admirer le paysage alors qu’on sert le petit déjeuner en cabine. Il descend ensuite vers Bolzano et Vérone, sans trop se presser, le temps qu’on y serve le dîner, tout aussi raffiné que la veille. En milieu d’après-midi, c’est l’arrivée à Venise.

S’il existe un pays inattendu pour ce type de trains, c’est l’Espagne. Depuis le mois de mai, le Transcantábrico Gran Lujo, le train Al Ándalus, le Robla Express et, comme nouveauté, le Costa Verde Express, sont à nouveau opérationnels, après un arrêt pour cause de pandémie. De quoi s’agit-il ? De circuits de luxe qui comprennent l’hébergement dans une cabine confortable avec salle de bain complète.

Dans les faits, ces trains servent donc d’hôtels de luxe et ne roulent pas de nuit, les voyageurs bénéficiant ainsi de « la magie ferroviaire » plutôt de jour ou en soirée, lors du dîner. Lors des escales, les trajets sont effectués en bus avec des guides pour les excursions, pour lesquelles toutes les visites et les entrées sont incluses dans le forfait voyage. Les voyageurs disposent également d’une offre gastronomique digne des plus fins gourmets, tant à bord du train que dans les restaurants des villes visitées.

Tous ces exemples semblent avoir donné des idées dans le monde du luxe. En 2017, Sébastien Bazin, PDG du groupe hôtelier Accor, s’emparait de 51 % de la marque Orient Express (49 % restant détenus par la SNCF). Ce visionnaire compte remettre sur pied non seulement un nouvel Orient-Express mais aussi un Dolce Vita en Italie. Ces projets seraient rendus possibles avec le partenaire italien Arsenale, qui a mis près de 100 millions d’euros sur la table. On ne parlerait plus ici de voitures anciennes mais d’une train exceptionnel dont le design est étudié par le cabinet Dimorestudio. Aux dernières nouvelles, la SNCF aurait vendu en mai 2022 ses parts restantes au groupe Accor, qui détient donc 100% de la marque Orient-Express ainsi que tous les produits dérivés associés. Affaires à suivre…

Il est plus difficile de dire si le projet Midnight Train semble vouloir prendre aussi la même voie du tourisme de luxe, ou si c’est une voie médiane entre le train « de masse » et le grand luxe. Les fondateurs parlent volontiers « d’expérience voyage » dont on attend encore les détails.

Le train est donc concialiable avec le tourisme, mais il faudra probablement bien choisir son public. Après tout, le vieux secteur des paquebots transatlantiques n’a-t-il pas réussit une remarquable reconversion dans les croisières alors que dans les années 50, il savait son business définitivement perdu ? Puisse le rail avoir la même audace…

Auteur : Frédéric de Kemmeter         wwww.mediarail.wordpress.com

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