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Network Rail : 20 années sous le contrôle de l’État britannique
Depuis vingt ans, le réseau ferré britannique est géré par un organisme qui dépend de l’État, du nom de Network Rail.
Credit photo: Network RailÀ l’avenir, un nouvel organisme devrait prendre le relais mais le réseau reste bien une entité gérée par le gouvernement.
À l’origine
Il y eut d’abord la loi sur les chemins de fer de 1993 qui avait fourni le cadre juridique pour la privatisation de British Rail et l’introduction d’une nouvelle structure pour le secteur ferroviaire. Cette loi reçut l’assentiment royal en novembre 1993 et bon nombre des principaux changements entrèrent en vigueur le 1er avril 1994.
Une société distincte appartenant au gouvernement, Railtrack, était alors créée pour s’occuper des voies ferrées puis fut vendue au secteur privé en mai 1996.
C’est donc bien le gouvernement de John Major, et non de Margareth Thatcher, qui a mis en oeuvre cette politique très radicale alors que l’Europe ne demandait qu’une séparation comptable, ce qui ne signifiait pas de facto « privatisation ».
Consensus politique ?
Cette conception de la voie séparée de ses trains a rapidement provoqué un tollé dans le milieu ferroviaire, et singulièrement à gauche de l’échiquier politique. Pas vraiment pour des raisons techniques mais plutôt pour des raisons sociales et politiques.
À cette époque, les conservateurs britanniques semblaient énivré par la nouvelle théorie financière mondiale et par une redéfinition du rôle de l’État dans les affaires publiques. Aucun pays européen n’a suivi le modèle ferroviaire britannique en ce qui concerne le statut de leur réseau ferré. Les pays qui ont séparé le rail en deux entités, comme par exemple la Belgique, l’Espagne ou la Suède, ont dès l’origine conçu ces nouvelles entreprises comme des entreprises d’État, quelle que soit les formules juridiques adoptées.
Ceux qui pensaient que l’arrivée du Labour de Tony Blair aux commandes de la Grande-Bretagne en 1997 permettrait de renverser la table ont été vite déçus.
Lorsqu’on l’analyse de plus près, le premier manifeste du Labour ne s’engageait pas du tout en faveur d’un chemin de fer « de propriété publique et responsable publiquement« , ce que John Prescott et d’autres avaient pourtant réclamé avant les élections. Au lieu de cela, le document déclarait : « Notre tâche sera d’améliorer la situation telle que nous la trouvons, et non telle que nous voudrions qu’elle soit. » Plus vaguement, le manifeste appelait à de meilleures « connexions, par la billetterie et des informations de voyage précises« . En 2001, un nouveau manifeste du Labour pour un second mandat ne mentionnait aucun projet de reprise de Railtrack sous contrôle public.
La fin d’une illusion
À la suite de nombreux accidents et de défaillances manifestes dans la gestion du réseau ferroviaire britannique, Railtrack était remplacée le 3 octobre 2002 par Network Rail (NR), qui est une société privée à responsabilité limitée «sans rapport de dividendes». L’utopie d’un réseau ferré géré sur base privée était définitivement enterré mais la main mise du gouvernement devenait évidente, sans pour autant se mêler de la gestion interne.
Network Rail (NR) reprenait dès lors l’actif et le passif de Railtrack plc et son rôle d’opérateur de réseau. La société était « à but non lucratif », ce qui ne signifie pas qu’elle ne pouvait pas faire de bénéfices, mais que ce n’était pas son objectif premier. Tout excédent d’exploitation serait réinvesti dans le réseau ferroviaire.
Contrairement à ce qu’on lit encore dans de nombreux écrits actuels – parfois même académiques -, cela fait donc 20 ans que Railtrack n’existe plus et que le réseau ferré est détenu par le gouvernement britannique.
En décembre 2013, l’Office for National Statistics annonçait son intention de reclasser Network Rail en tant qu’organisme gouvernemental dans les comptes nationaux et les finances du secteur public du Royaume-Uni, avec effet au 1er septembre 2014. Il s’agissait d’un changement statistique motivé par de nouvelles directives dans le système européen des comptes nationaux 2010 (SEC10).
Toutefois, cela posa un problème. L’un des aspects positifs de la privatisation avait été de libérer le chemin de fer de cette maléfique dépendance au Trésor britannique, assurant ainsi la stabilité financière. Lorsque Network Rail a été reclassé comme organisme public en 2014, il n’a plus été en mesure de financer ses améliorations en empruntant sur les marchés financiers. Le financement s’est fait par le biais de prêts du Trésor. En fait, c’est le DfT qui détermine quelles améliorations sont financées sur le réseau, ce qui indique bien que le gouvernement a la main sur la politique ferroviaire. La nouvelle gouvernance ne va rien changer à cette dépendance politique.
Un nouveau projet
Aujourd’hui, le projet Great British Rail (GBR) est en cours d’élaboration. Il n’y a pas encore grand monde pour savoir exactement de quoi sera fait le futur du rail britannique. La « nationalisation » des services ferroviaires en Ecosse et au pays de Galles ne signifie pas qu’on a tout réunifié comme au bon vieux temps de British Rail. Le réseau reste bien une entité séparée.
Comme indiqué plus haut, cette nouvelle gouvernance n’a pas mis davantage d’argent pour le rail, malgré les promesses de décarbonation et la COP 26 de Glasgow. Le rail britannique doit au contraire tenir compte d’un nouveau contexte peu favorable. Il y a moins de gens dans les trains qu’avant 2020 et dans les cercles politiques, on fait comprendre que le rail a été bien soutenu durant la pandémie avec « une pluie de milliards ». Sous-entendu : l’argent public n’est pas sans limites…
En 2019, le ministère des Transports (DfT) annonçait que Network Rail serait tenu de réaliser des « gains d’efficacité » de 3,5 milliards de livres sterling au cours de la période de financement des cinq années suivantes. En 2021, NR portait la barre un peu plus haut en projetant des économies à 4 milliards de livres sur la même période.
On sait déjà que le nouvel GBR est appelé à faire près de 1,5 milliards de livres d’économies de fonctionnement par an au cours de ses 5 premières années d’existence. Quand le Trésor dicte la politique ferroviaire et le volume des investissements…
Décentralisation
Jusqu’à présent, Network Rail est toujours une entité couvrant toute la Grande-Bretagne, au travers de cinq régions, dont l’Écosse et le Pays de Galle. Cette timide décentralisation était une demande forte des pouvoirs publics afin de se rapprocher davantage des demandes plus locales, notamment au travers des financements et du calendrier des travaux. Cette décentralisation de Network Rail est le défi des prochaines années.
Cela signifie que l’Écosse et le Pays de Galles dépendent encore du gouvernement national pour la qualité de leur réseau ferroviaire. Or, cette qualité de réseau, ainsi que sa résilience, est essentielle pour le service des trains, qu’il soit « nationnalisé », sous contrat ou en open access. Sans bonnes infrastructures, pas de bons services ferroviaires.
Dans les faits, GBR sera propriétaire de l’infrastructure, percevra les recettes des péages, assurera la circulation des trains, planifiera le réseau et fixera la plupart des tarifs et des horaires.
Le GBR n’est donc pas un opérateur de train unique en Grande-Bretagne, mais un gestionnaire complet d’infrastructure et de service. Il agira donc aussi en tant qu’Autorité Organisatrice de Transport pour fixer les tarifs et le volume des circulations. Il reste à voir comment se réalisera le partage des risques entre les opérateurs et le GBR.
C’est un peu le modèle que l’on retrouve, avec des variantes juridiques diverses, en Europe Continentale.
La législation menant à la création officielle du GBR devrait être adoptée par le Parlement en 2022 et 2023 dans le but de rendre ce GBR opérationnel d’ici 2024.
Auteur: Frédéric de Kemmeter www.mediarail.wordpress.com