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Euro Dual, une locomotive puissante passe-partout
L’Eurodual de Stadler commence doucement une percée sur un créneau jusqu’ici encore peu utilisé : passer de la caténaire à la ligne non-électrifiée sans changer d’engin de traction.
C’était un défi depuis bien longtemps. Passer de la caténaire à la traction diesel avec le même engin n’avait jusqu’ici pas trouvé de solution économiquement satisfaisante. Dans l’absolu, il n’y avait pour ainsi dire pas de marché : les trains de marchandises sont pour la plupart reçus sur faisceau marchandises et leurs manœuvres vers les embranchements particuliers imposaient de toute manière un changement de locomotive. Ce schéma est toujours en vigueur de nos jours, mais les longues sections à parcourir jusqu’à certaines installations, comme les silos à céréales ou certaines usines perdus en pleine campagne, militèrent pour une autre formule.C’est que le changement systématique d’engin de traction dès qu’on passe de la voie non-électrifiée à la voie… électrifiée, impose du personnel de manœuvre et des gares à maintenir, parfois pour seulement deux trains par semaine. Un gaspillage de ressource qui pouvait mettre en péril les petites lignes, jugées sur ce point trop coûteuses. Les entreprises ferroviaires devaient alors jongler avec des locomotives « faites pour la manœuvre », mais qu’on n’hésitait pas à utiliser pour des missions de plus longues distances quand c’était nécessaire, pour le plus grand inconfort des conducteurs.
Mais la libéralisation du fret ferroviaire dès les années 2000 a montré chez les nouveaux opérateurs une recherche permanente de réduction des coûts, tant au niveau des manœuvres que du nombre de locomotives. Il en résulta rapidement l’apparition d’un important trafic marchandises effectué sur lignes électrifiées… à l’aide d’engins diesel. Les fameuses Class 66 d’origine britannique essaimèrent alors un peu partout en Europe, suivis d’autres engins produits par l’allemand Vossloh : les G1706 et les G2000. Cet aéropage d’engins diesel sous caténaire faisait alors mentir les vertus écologiques du rail, déjà largement mis en minorité par rapport à la route. De plus, la traction diesel dispose d’une limite de charge plus prononcée, alors que dans l’intervalle les trois constructeurs Alstom/Siemens/Bombardier déclinaient coup sur coup leurs machines électriques de 6.400kW, nouveau standard européen. Dilemme pour les opérateurs…
Dans l’intervalle, un autre aspect, lié aux progrès de l’électro-technique, permettait d’entrevoir une solution à ce qui précède : la miniaturisation des composants de la chaîne de traction, qui permet désormais de libérer de l’espace pour y adjoindre un groupe diesel supplémentaire. La locomotive bimode pouvait alors devenir réalité et satisfaire certains besoins, notamment en capacité.
Dans un premier temps, Bombardier présentait en 2011 une TRAXX électrique dite « last mile » (dernier kilomètre), dotée d’un moteur diesel de faible puissance pour terminer un parcours sans caténaire de quelques kilomètres. Cette fonction novatrice, faisant appel à un moteur diesel et à une batterie auxiliaire, permettait à la locomotive de rouler à plein régime jusqu’à huit heures. En 2018, Siemens présentait à Innotrans sa « Vectron-Dual Mode » dotée d’un moteur diesel de 2.400kW et d’un réservoir à fuel de 2.700L.
Mais le défi principal d’une machine intégralement bimode consistait à conserver les performances de traction quelque soit la ligne, électrifiée ou non. C’est sur ce terrain qu’émergea un acteur bien connu pour ses automotrices, mais peu pour ses locomotives : le suisse Stadler.
À la faveur d’un recentrage sur la production d’éléments d’infrastructure, Vossloh vendit à Stadler en 2016 son usine d’Albuixech près de Valence (Espagne), laquelle produisait depuis 2006 une machine diesel performante : l’Euro 4000. En 2014, un peu avant la vente, Vossloh avait déjà présenté à Innotrans Berlin une locomotive bimode, basée sur ladite Euro 4000. Mais ce n’est qu’en 2018 que Stadler lança sa plate-forme Euro Dual, une évolution du projet Euro. Trois types de locomotives sont disponibles dans cette famille:
- L’Euro Dual, locomotive bi-mode, bi-courant (1,5kV DC, 25kV AC), disposant d’une puissance de 6,15MW en traction électrique, 2,8MW en traction thermique;
- L’Euro 4001, déclinaison entièrement « diesel » de la plateforme Euro Dual. Cette machine embarque un moteur Caterpillar C175-16 désormais conforme à la norme Euro IIIB.
- L’Euro 6000, une déclinaison entièrement électrique de la plate-forme Euro Dual d’une puissance de 6MW.
La locomotive Euro Dual est une vraie nouveauté dans le sens où en motorisation autonome, donc « diesel », elle développe 2.800kW, soit l’équivalent d’une CC72000, tout en ayant à bord une chaîne de traction électrique développant 6.000kW… que n’avait pas ladite CC72000, ni d’ailleurs aucune autre des meilleures diesel européennes. Au final, une machine qui affiche certes ses 123 tonnes, nécessitant six essieux pour rester sous la barre des 22 tonnes comme prescrit en Europe.
VLFI, un opérateur français, a acquit la première Euro Dual pour la mettre en service en novembre 2019. Dans l’intervalle, le privé allemand Havelländische Eisenbahn (HVLE) a passé commande pour 10 machines. Cet opérateur compte desservir le petit réseau du Rübelandbahn qui a la particularité de fonctionné en Allemagne en 25kV, mais qui comporte aussi des lignes non-électrifiées et bien entendu des connexions vers le réseau en 15kV de la Deutsche Bahn.
A la mi-février de cette année, l’Euro Dual obtenait l’approbation de circulation de la redoutée EBA, l’agence fédérale allemande, permettant à HVLE de démarrer l’exploitation. Avec une autre commande passée par le loueur ELP, Stadler Valence fait état actuellement de 40 locomotives commandées. Un bon début et des évolutions à suivre…
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