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Le TGV : les vertus d’un « train régional » qui ne veut pas se l’avouer

Pascal Simon-Doutreluingne est professeur agrégé d’économie-gestion, docteur en droit public. Il est enseignant depuis 1998 et a passé dans plusieurs lycées. Il régulièrement membre de jury à l’École Nationale d’Administration (INSP) ainsi qu’à l’Éducation Nationale.

Le TGV : les vertus d’un « train régional » qui ne veut pas se l’avouer
Les TGV régionaux : c’est notamment l’idée de Le Train (photo montage Le Train)

Alors qu’il fallait trouver une solution pour regagner Strasbourg depuis la gare de Surgères – en Charente-Maritime – après les actes de sabotage sur trois postes d’aiguillage de la SNCF, il me revint l’idée de profiter du maillage régional des gares TGV, et singulièrement celles construites entre Paris et Strasbourg en 2007 pour l’ouverture de cette ligne à grande vitesse (LGV).

Depuis son lancement en 1981, le Train à Grande Vitesse (TGV) a durablement modifié les déplacements ferroviaires en France puis en Europe, l’ICE allemand commençant sa carrière commerciale dix plus tard. Reliant les principales villes à des vitesses allant jusqu’à 320 km/h, le TGV par la réduction des temps de trajets a contribué à rapprocher les régions et Paris. De ce fait, il est entré directement en concurrence avec l’avion pour le remplacer sur de nombreuses destinations, comme Strasbourg, Nantes ou Lyon, participant ainsi à un report modal favorable à la transition énergétique.

À l’inverse, l’offre LGV en Allemagne n’a pas la même logique. Du fait de la structure fédérale de l’Allemagne, les régions sont très attentives à ce que les trains, même à grande vitesse, s’arrêtent dans un plus grand nombre de villes : une superficie du territoire bien inférieure à celle de la France (357 569 km² contre 638 475 km²), une densité de population différente avec 119,1 habitants au km² pour la France et plus près du double en Allemagne à 236,1 habitants au km².

Des vitesses de pointe pour une meilleure desserte locale

« Les régions allemandes privilégient la desserte des territoires à la vitesse. Une liaison point à point à grande vitesse avec peu d’arrêts a moins de sens en Allemagne qu’en France. Chaque ville régionale a un droit équivalent pour les dessertes et elles désirent avant tout avoir le plus de fréquences possible.» [1]

Cette approche qui a longtemps différencié les deux réseaux ferroviaires tend à se modifier, alors que le réseau TGV continue de s’étendre. La réflexion d’un TGV devenant un véritable train régional réémerge régulièrement, qu’elle vienne des élus locaux qui souhaitent une desserte de leur territoire comme ce qui a pu se mettre en place en Allemagne, ou de concurrents potentiels de la SNCF, à l’image de ce qu’annonçait la société Le Train créée en 2019.

Les régions allemandes privilégient la desserte des territoires plutôt que la vitesse

Historiquement, le TGV a été conçu pour relier Paris aux grandes métropoles françaises, mais avec le temps, son potentiel pour une utilisation plus régionale a émergé. Grâce à ses performances élevées et le développement de gares alternatives à celles de Paris intramuros, le TGV permet une desserte des villes reliées par des lignes radiales devenant un train intersecteurs également appelé « TGV province-province » et offrant une alternative crédible à la voiture individuelle comme entre Strasbourg et Bordeaux, Rennes et Marseille, Bruxelles et Perpignan. La rentabilité d’un tel TGV prend autant en compte le nombre de voyageurs entre les gares terminus de son parcours que le trafic de cabotage.

Ces trains se caractérisent par un grand nombre d’arrêts intermédiaires, d’où des voyageurs montent ou descendent, pour des trajets de moyenne distance. L’occupation de la rame TGV y est donc continue et transforme l’idée d’un TGV centralisé sur les gares parisiennes en un « train régional », accompagnant l’agrandissement des régions françaises.

Les projets expérimentaux continuent à voir le jour, comme la ligne Rennes-Le Mont-Saint-Michel mise en service en 2017 en prolongement de la liaison avec Paris. Avec des temps de parcours divisés par deux, cette liaison TGV a su capter une part importante du trafic automobile sur cet axe touristique majeur. D’autres initiatives similaires sont envisagées, notamment dans des régions comme les Pays de la Loire ou le Grand Est, où le maillage des grandes villes est plus lâche.

C’est ce maillage qui m’a permis un Surgères -> Paris Montparnasse puis Paris Est->Meuse TGV -> Strasbourg, évitant de rester trois heures à Paris et de rentrer à mon domicile avec seulement 1h30 de retard.

Un modèle économique à réinventer

Bien sûr, l’adaptation du TGV à une utilisation régionale soulève de nombreuses questions. Sur le plan économique d’abord, le coût élevé d’investissement et d’exploitation du TGV rend son usage difficile sur des lignes à plus faible fréquentation. Ce fut l’une des remarques que l’on pouvait lire dans le dernier rapport de la Cour des comptes. Même si l’analyse du maillage du réseau ferroviaire louait une offre aux usagers d’« une assez bonne proximité du service public ferroviaire », les magistrats de la Cour des comptes relevaient des coûts élevés entraînant des redevances importantes pour les transporteurs qui y transitaient. À cet égard, la gare de Meuse TGV semble être un exemple topique de ces gares ponctuant les LGV et dont le modèle français ne semble pas encore faire l’unanimité. On peut rappeler, utilement, que la gare de Meuse TGV est située entre les gares de Champagne-Ardenne TGV (à 100 km à l’ouest) et de Lorraine TGV (à 68 km à l’est).

Il reste un modèle économique du TGV qui est en transition pour le rendre plus accessible aux voyageurs régionaux et en développer l’offre

Il n’en reste pas moins, qu’outre mon expérience personnelle d’un cabotage estival, cette ligne à grande vitesse et ses gares intermédiaires, fait du train à grande vitesse, entre l’Allemagne et la France, une offre qui complète l’accès à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle (CDG). La gare TGV de l’aéroport CDG – ouverte en mai 1994 pour créer le maillon de l’interconnexion LGV nord-sud – est devenu autant l’aéroport international majeur le plus proche de Strasbourg que de Bruxelles et Lyon quand l’offre des aéroports belge et rhônalpin ne suffisent pas à la demande locale.

Pour autant, de ce panorama ferroviaire ainsi dressé, il reste un modèle économique du TGV qui est en transition pour le rendre plus accessible aux voyageurs régionaux et en développer l’offre. Des pistes sont à l’étude, comme la possibilité d’utiliser des rames de capacité plus limitée, mieux adaptées aux besoins locaux, ce qui est déjà le cas lorsque la SNCF utilise soit une rame TGV 2N2, ou Euroduplex, soit une rame dite « réseau ». Cela peut aussi exiger de nouvelles infrastructures, comme les travaux prévus par la Région Nouvelle-Aquitaine dans son projet de création de nouvelles lignes à grande vitesse Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax.

C’est enfin, la mutualisation des services TGV, OUIGO et TER (Train Express Régional) sur certains axes, permettant de rentabiliser les infrastructures. Dans cette dernière offre ferroviaire, le TER devient, à l’image des « grandes » régions créées en 2015, une offre multiple. Elle peut être, tout autant, une desserte intrarégionale telle qu’un Strasbourg-Metz, qu’une liaison interrégionale. À l’image, des deux dessertes, sur les dix-sept quotidiennes, entre Paris et Strasbourg, utilisant la ligne historique pour une durée approchant les 5h de trajet. Dans le même ordre d’idée, les expériences en cours, comme le Ouigo Train Classique lancé en 2021, proposent des tarifs plus abordables sur certaines liaisons régionales, ce service low cost du TGV ayant su séduire un nouveau public, notamment des voyageurs occasionnels ou sensibles au prix.

Ces innovations tarifaires et organisationnelles réouvrent l’alternative au TGV comme la démocratisation du TGV en région.

[1] https://www.businesstravel.fr/alleo-une-tres-grande-cooperation-entre-la-sncf-et-la-db.html– Publié le 2 octobre 2017, consulté le 11 aout 2024.

Auteur : Frédéric de Kemmeter

www.mediarail.wordpress.com

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