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La commande centralisée de la signalisation : indispensable
La technologie digitale permet de nos jours de regrouper un grand nombre de cabines de signalisation en un poste unique gérant une zone très vaste.
L’occasion de jeter un œil sur quelque chose de méconnu qui, pourtant, est à la base de la fiabilité de nos services et… de la ponctualité.
Non, personne ne pousse sur un bouton pour mettre tel signal au vert ou rouge selon le trafic ferroviaire. La gestions des circulations des trains est autrement plus subtile que cela. Elle porte le nom « d’enclenchement ». De quoi s’agit-il ?
Le train étant un transport guidé, il n’a aucune possibilité de quitter ses rails et n’a donc aucune occasion d’éviter un obstacle. Par obstacle, on n‘entend pas seulement un arbre qui tombe ou une voiture qui traverse un passage à niveau fermé, mais aussi et surtout le train qu’on a devant soi. Raison essentielle qui fait que le trafic des trains, même faible, doit être surveiller à chaque seconde par… quelqu’un quelque part.
Jadis, la manœuvre des aiguillages et l’ouverture des signaux (qui étaient des palettes et non des signaux lumineux comme actuellement), se faisait par un signaleur qui officiait dans un petit poste de signalisation. Par le passé, on pouvait avoir un poste par groupe d’aiguillages, parfois pour un seul aiguillage, de sorte que la moindre petite gare avait 2 ou 3 postes de signalisation, avec des gens dedans travaillant en roulement, nuit et jour. Vu le nombre de gares jadis, cela faisait beaucoup de monde affecter au « mouvement » des trains.
Ce métier avait l’immense désavantage de laisser des hommes seuls, car ces cabines n’étaient pas toujours situées à proximité des gares, mais au bout de celles-ci. Les anciens vous relateront- à voix basse -, le fauteuil-lit qu’ils avaient emmené, et plus tard même la télé et sa parabole, quand le trafic était maigrichon voir nul durant la nuit, sur des petites lignes au fin fond de nulle part…
La communication entre ces postes se faisait par téléphone, plus tard par télex selon la distance. En France, les règlements de 1858 imposèrent le télégraphe dans toutes les gares, les dépôts, les ateliers, les cabines d’aiguillage, dans tous les bâtiments, dans tous les lieux actifs. Il fallait une sacrée coordination pour œuvrer à cette manière de faire de la circulation. Et les erreurs humaines n’étaient pas rares.
Le principe de la détection des trains
On vous le raconte ici avec un vocabulaire très simple pour la compréhension de tous. La circulation des trains obéit en réalité à quelque chose de plus complexe que de simples feux verts ou rouges. En fait, les feux montrent un aspect vert, jaune (orange) ou rouge automatiquement, en fonction d’un état donné, d’un itinéraire donné et d’une autorisation donnée. De quoi s’agit-il ?
Les trains ne peuvent circuler que dans un bloc donné (de 1000, 1500 ou 2000m de long, cela dépend). Chaque bloc ne comporte qu’un seul train. Si un bloc est occupé, alors le signal qui le protège en aval est « rouge ». Et il restera rouge tant que le train n’a pas quitté le bloc occupé. Exemple concret ci-dessous : un train occupe une section (bloc) entre les signaux A112 et A114. Ce bloc est donc « occupé » et le signal A112 le protège en se mettant en mode fermé (rouge), signifiant qu’aucun autre train derrière ne peut y entrer :
Le signal A114, qui protège le bloc suivant, est « ouvert » car ce bloc est libre. Il donne donc un aspect vert permettant au train d’y entrer. Le bloc précédent va donc être rapidement libéré et le signal A112 va donner à son tour un aspect vert, indiquant que le bloc qu’il protège est désormais libre. Le prochain train pourra donc y entrer en toute sécurité.
Comment un signal change-t-il automatiquement d’aspect (du rouge au vert) ? Tout simplement grâce à la détection, rendue possible par les rails métalliques. Cette détection porte le nom de circuit de voie, et le circuit de voie a la longueur complète du bloc (1000, 1500 ou 2000m dans l’exemple ci-dessus).
Ainsi, quand un train occupe un bloc, le circuit de voie est « shunté » et provoque un message d’occupation, ce qui met automatiquement le signal aval de protection au rouge. Le bloc est ainsi protégé. Une fois que le train a quitté le bloc, le circuit de voie n’est plus shunté et indique alors un message « voie libre », le signal aval se mettant au vert (ou orange en cas de restriction).
Grâce aux progrès de l’électronique, ces messages d’occupation ou de voie libre ont pu être transmis par câbles de plus en plus loin, dans des cabines de signalisation à 5, 10 ou 20 kilomètres des blocs. C’était déjà une forme de centralisation. Mais ce n’est pas tout.
Le principe de l’enclenchement
Il n’y a pas que des voies simples sur le réseau ferroviaire. Il y a aussi des aiguillages pour passer d’une voie à l’autre. Certaines gares ont plusieurs voies, et parfois même beaucoup. On se retrouve donc avec une combinaison de possibilités d’itinéraires, comme le montre sobrement le schéma ci-dessous.
Mais qui change la position des aiguillages ? Jadis, c’étaient à l’aide de manivelles diverses, mais les choses ont fortement évoluer avec l’électronique, où tout se fait sur de simples boutons, puis plus récemment en un clic de souris.
Pour passer une zone d’aiguillages, même la plus simple, il faut tracer un itinéraire. De quoi s’agit-il ? Un agent de circulation va tout simplement encoder un ordre de mouvement entre deux points A et B, comme le montre ci-dessous, où on trace un itinéraire entre les signaux S22 et X12 :
Cet ordre, simple en apparence, comporte en réalité une série de réactions automatiques, pré-encodée d’avance : mettre les aiguillages AM40 et AM42 dans leur bonne position et… bloquer cette position avant que le train n’arrive. Une fois cet enclenchement de divers paramètres contrôlé et réalisé, que toutes les conditions sont remplies, alors le signal S22 protégeant l’itinéraire pourra se mettre au vert (on dit que le signal est « ouvert »), et le train peut emprunter l’itinéraire encodé (flèches rouges – ligne bleue). Si une seule des conditions n’est pas remplie (panne, mauvais contrôle,…), le signal S22 restera au rouge jusqu’à la résolution du problème…
L’itinéraire possède lui aussi ses circuits de voie pour détecter le train. Cela revient à ce qui a été expliqué précédemment. On s’arrêtera ici pour la technique.
La bonne question est : comment un agent, assis à des kilomètres de là, peut-il être sûr de son enclenchement et de la position des trains ?
Des câbles et des trains
Les progrès à la fois en câbles électriques et en électrotechnique ont permis au fil des décennies de commander des aiguillages – et donc des itinéraires -, depuis des lieux de plus en plus éloignés. De nombreux petits postes d’aiguillages ont pu être supprimés dès les années 50/60. Les circuits de voie envoient eux aussi leur situation d’occupation ou de voie libre à la cabine, à l’aide câbles locaux, sans lesquels il n’y aurait pas d’informations transmises à la cabine de signalisation, pas d’enclenchements possibles à réaliser.
La transmission par câbles a cependant des limites techniques et géographiques : autour des 10-15 kilomètres (très variable d’une situation à l’autre). Au-delà de ces distances, il y a risque de chute de tension et de mauvaise transmission de l’information. L’idée est alors venue d’utiliser une autre technique pour augmenter les distances de transmission des enclenchements, du contrôle de la position des aiguillages et des trains.
Cette autre technique s’appelle fibre optique. Localement, aiguillages et signaux sont toujours commandés depuis une série d’armoires le long de la voie, en câbles classiques. Mais ces armoires sont maintenant reliées les unes aux autres à l’aide de la fibre optique, laquelle permet de commander un itinéraire depuis des dizaines de kilomètres. La fibre optique offrant une circulation de l’information à la vitesse la lumière, on peut ainsi s’assurer le contrôle des circulations et de la bonne position des aiguillages depuis loin, voire très loin, et de manière extrêmement rapide. C’est cela qui a motivé à « concentrer » les poste de signalisation vers une commande encore plus centralisée.
Un seul lieu
Physiquement, on peut dorénavant regrouper toutes les opérations d’enclenchement et de surveillance des trains en un seul lieu, qui va couvrir une très grande zone. Les limites de ces zones ne sont pas choisies au hasard mais font l’objet d’études poussées en fonction du trafic et du kilométrage de voies à gérer, par exemple 400 aiguillages, 1.000 signaux, 60 gares et 400 kilomètres de lignes.
Le fait de pouvoir surveiller tout le trafic en un seul regard est un avantage important : le régulateur du trafic à un œil sur tout et peut donner des ordres de modification d’itinéraires à ses agents, chacun maitrisant une zone donnée. La communication est immédiate (tout le monde travail dans la même salle), les pannes sont rapidement détectées et l’information rapidement transmise.
C’est donc cela qui a conduit à n’avoir que 13 centres de signalisation aux Pays-Bas (3.034 km de lignes) ou seulement 11 en Belgique (3.615 km de lignes). Cette concentration devrait également atteindre les plus grands pays, mais le travail est évidemment plus important vu la taille des réseaux. On compte encore 2.550 cabines en Allemagne et 2.200 en France, par exemple.
Cette concentration en cabine de signalisation digitale devrait ainsi permettre d’éviter de fermer des lignes la nuit parce qu’il y a personne pour surveiller le trafic. Elle permet aussi de prendre en charge des petites capillaires qui n’ont que quelques trains par semaines (trafic de céréales par exemple), et qui ne nécessitent pas d’avoir des agents à temps plein sur place.
L’ensemble des itinéraires – des dizaines de milliers -, sont désormais préprogrammés dans des serveurs qui emmagasinent toutes les infos et conditions de sécurité, itinéraire par itinéraire. Serveurs qui sont bien entendu dédoublés au cas où l’un viendrait à manquer…
En espérant ne pas avoir été trop technique.
Auteur : Frédéric de Kemmeter
mediarail.wordpress.com