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Incontournables : les ateliers de maintenance soignent nos trains
La mauvaise blague que Trenitalia-France a eu récemment concernant la maintenance de ses trains – résolue depuis -, est l’occasion de jeter un oeil sur un monde peu connu.
On ne peut opérer de trains sans qu’il y ait les inspections d’usage. La multiplicité des opérateurs a forcément multiplié les formules, entre l’atelier d’un constructeur, celui d’un gestionnaire d’infrastructure ou le petit atelier privé.
Jadis, le rôle que confient les compagnies à la maintenant avait un seul objectif : la maîtrise de la sécurité et du service. Il fallait éviter la défaillance du matériel roulant. La politique de maintenance est donc préventive et systématique. Il s’agit d’une approche technique qui avait pour but de garantir un niveau de service, mais au prix d’une surveillance fréquente des actifs et donc de fortes dépenses de la main-d’œuvre.
Le nouveau contexte institutionnel, ainsi que la concurrence impitoyable de la route et de l’aérien, ont mené aujourd’hui les entreprises ferroviaires à donner une importance croissante au prix offert à l’usager et donc à comprimer les dépenses. Or la maintenance représente aujourd’hui environ 15% des charges directes d’un exploitant ferroviaire, ce qui exige une attention particulière quant aux montants investis, sans sacrifier à la sécurité. En outre, la qualité de la maintenance est déterminante à la fois pour la productivité des flottes (et donc pour la compétitivité globale), mais aussi pour s’assurer de fournir les rames en temps et en heure tous les jours de l’année. En ces temps de réseaux sociaux qui réagissent à la seconde, il n’y pas meilleure mauvaise publicité qu’un train supprimé « parce qu’il est encore à l’atelier »…
Dès lors, ce contexte a rapidement modifié le regard sur le Life Cycle Cost (LCC) et la maintenance, créant une approche beaucoup plus exigeante dans de nombreux domaines. L’ouverture des marchés ferroviaires a fait apparaître de nouvelles formes de propriété des matériels roulants, et ceci a radicalement changé la relation et les comportements envers la maintenance. Nous sommes donc passé d’un monde simple où l’opérateur faisait lui-même sa maintenance en interne, à un monde complexe où différents acteurs recomposent les responsabilités.
Le cycle d’entretien
Les rames TGV, ICE, Frecciarossa ou AVE sont des trains de haute technologie et donc de grande valeur qui, pour être rentables, doivent être utilisés avec un taux d’utilisation élevé et des kilométrages annuels pouvant atteindre 500.000 km par rames.
En France, à l’origine, les parcours annuels des rames TGV PSE s’établissaient à 350.000 km. Aujourd’hui, ceux des TGV Duplex oscillent maintenant autour des 500.000 km. L’intensité d’usage du parc conditionne le calendrier de passage en atelier. A la SNCF, les TGV passent « au garage » tous les 7.500 km, soit tous les deux ou trois jours en moyenne. En cas de problème, ils sont immobilisés avant d’être réparés. Une situation qui montre l’importance d’avoir une réserve.
Cela n’est possible qu’en combinaison avec un concept de maintenance conforme au système, qui minimise les temps d’arrêt des trains en atelier. À la Deutsche Bahn, une inspection régulière ne doit pas durer plus d’une heure sur les trains ICE 3.
Des mesures sont donc prises pour une maintenance bien différente des décennies passées :
Maintenance et entretien des rames blocs complètes sans démontage des véhicules individuels, que ce soit des rames à grande vitesse ou des trains régionaux ;
Diagnostic embarqué et analyse du diagnostic dans les ateliers pendant le trajet du train ;
Coordination des temps de maintenance des différents composants pour construire une plage horaire en atelier ;
Surveillance et analyse des incidents.
Le maître mot est – en principe -, de ne plus avoir de rames garées en journée en atelier, car toutes les rames doivent alors être en service.
Un nouveau cadre réglementaire
Le besoin d’entretenir le train n’a évidemment pas disparu mais chaque opérateur doit disposer d’un atelier d’entretien et pour cela il y a 2 solutions :
L’opérateur dispose de son propre réseau d’ateliers d’entretien il peut donc faire tout en interne ;
soit un nouvel opérateur doit trouver un atelier agréé avec qui il passe un contrat pour entretenir ses trains.
L’examen de plusieurs accidents, comme celui de Viareggio en Toscane (IT), a permis de constater qu’il n’existait jusqu’alors aucun dispositif solide permettant aux propriétaires ou aux détenteurs de wagons de marchandises de connaître à tout moment l’état réel de ces derniers. En conséquence, l’opérateur exploitant n’était pas en mesure d’affirmer avec certitude qu’un wagon était en état d’être utilisé.
Cette situation a rendu nécessaire la création d’un nouveau cadre réglementaire pour déterminer les responsabilités des uns et des autres lors des échanges de wagons ou de trains entre pays. Il fallait surtout harmoniser les concepts et critères de maintenance pour s’assurer que la maintenance d’un véhicule effectuée dans un atelier d’un pays ne puisse être refuser dans le pays voisin.
Pour y arriver, on a créé l’ECM, « l’entité en charge de la maintenance ». Cette ECM est désignée comme toute personne ou organisation responsable de la maintenance d’un véhicule. Il peut s’agir de personnes ou d’organisations telles que des entreprises de transport, des gestionnaires d’infrastructure, un détenteur ou un organisme de maintenance.
Lineas, qui est un opérateur de fret, précise ainsi sur son site que « si vous recherchez une solution totale pour l’entretien de votre parc de wagons, vous pouvez nous demander d’être votre ‘entité en charge de l’entretien’ (ECM). En tant que tels, nous veillerons à la conformité à la réglementation, à la loi et aux normes de sécurité de votre flotte de wagons grâce à des programmes de Training sur mesure, exécutés par notre réseau de 30 ateliers ECM agréés. Nous assurerons également un suivi et procéderons à l’inspection des wagons conformément aux normes définies. »
Les ECM qui entretiennent des véhicules ferroviaires dans l’UE doivent obtenir un certificat ECM auprès d’un organisme de certification d’un État membre de l’UE. Avec cette certification, tout véhicule sortant d’un ECM certifié est alors obligatoirement admis comme « conforme » sur les réseaux voisins. C’est une des phases clés de l’interopérabilité.
L’italien Ambrogio Trasporti, un entrepreneur de Turin, a lancé ses trains depuis les années 60, à destination de Neuss (DE), Muizen (BE) et plus récemment Mouguerre (FR), à côté de Bayonne. Ce logisticien dispose maintenant d’une license ECM pour sa flotte de wagons et dispose de son propre atelier d’entretien des essieux à Candiolo, son siège social. Cela lui permet de gérer à sa guise la rotation des wagons et de ne plus dépendre d’un tiers. Une formule qui est de plus en plus utilisée quand les circonstances le requièrent.
Servir tout le monde
Parfois, créer un réseau d’ateliers permet à un constructeur de garder la main sur ses produits, de voir leur évolution, leurs défauts et de pouvoir corriger rapidement. Siemens a ainsi créé tout un réseau d’atelier de maintenance de ses locomotives Vectron, répandues, dans une vingtaine de pays.
À Novara, dans le nord de l’Italie, Siemens dispose ainsi de son Rail Service Center. Le constructeur dispose déjà des certifications ISO 9001 Qualité, ISO 45001 Sécurité et ISO 14001 Environnement, et l’atelier est certifié « Système de gestion de la maintenance » selon les exigences strictes fixées par le règlement UE 779/2019. Avantage : à Novara, on est au service de quiconque exploite une Vectron, quel que soit l’opérateur.
Alstom a fait de même avec un atelier intégralement conçu pour le seul opérateur privé à grande vitesse : NTV-Italo. Cet atelier est situé à Nola, près de Naples, travaille 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, en utilisant les outils de diagnostic les plus avancés, comme le train tracer, un outil de maintenance prédictive qui permet d’analyser et de comprendre à distance ce qui se passe à bord, de prévenir les pannes et les problèmes.
Pour un constructeur, les services annexes permettent de juteuses rentrées d’argent. Dernièrement, Alstom a remporté un contrat d’exploitation et de maintenance auprès de l’Administration des Transports du Maryland (Maryland Transit Administration, MTA), aux États-Unis. La durée de base du contrat initial de cinq ans est budgétée d’environ 367 millions d’euros et peut être prolongée par deux extensions potentielles en 2028 et 2033, qui porteraient l’ensemble à une valeur totale à environ 1,2 milliard d’euros. La maintenance n’est plus une fonction annexe, mais un véritable business…
La politique des ECM a aussi été un support utile pour la libéralisation du rail. Elle a permit aux loueurs de matériel roulant de proposer des locomotives prêtes à l’emploi, ce qui est un atout incontestable pour les petits nouveaux entrants, qui ne peuvent ni acheter ni entretenir.
En Allemagne, la filiale SNCF Captrain dispose de six ateliers spécialisés en propre à Basdorf (Wandlitz), Bitterfeld, Bochum, Brême, Dortmund et Pirna, qui mettent également leur gamme complète de services à la disposition d’entreprises ferroviaires externes.
De son côté, le loueur allemand Railpool reprenait l’entreprise de maintenance de locomotives Ajax Loktechnik GmbH de Hambourg et l’ajoutait dans son escarcelle. Objectif : être en bout (ou début) de ligne, là où tous les opérateurs aboutissent (on est à côté du port), avec forcément des locomotives Railpool à entretenir et inspecter. Un nouvel atelier appelé Railpool Lokservice GmbH & Co. KG est dorénavant en construction sur le site de Billbrook à Hambourg, avec comme principal justification l’augmentation significative des volumes à traiter.
Là aussi, la maintenance est devenue une source importante de revenus pour les propriétaires.
Essentiel…
Avoir un atelier de maintenance est donc un élément clé pour opérer un ou des services de trains. Et généralement, quand on opère à l’étranger, il est souvent impératif d’avoir un atelier quand on est propriétaire de son matériel roulant. Mais pas toujours…
Nightjet, par exemple, entretient ses rames à Vienne. Au bout de X milliers de kilomètres, une rame doit rentrer pour une inspection. Comme les Nightjets n’opèrent qu’à l’international, des astuces d’exploitation ont permis d’éviter à avoir recours à une ECM hors Autriche. Ainsi, la rame qui fait Vienne-Zurich une nuit, fera la seconde nuit sur Zurich-Berlin, la troisième sur Berlin-Zurich et la quatrième sur Zurich-Vienne. De retour « chez elle », cette rame ira dans son atelier pour son contrôle de routine puis repartira pour un nouveau tour. ÖBB garde ainsi la maîtrise totale des opérations tout en circulant hors de ses terres.
Mais cette politique peut procurer de mauvaises blagues. Suite à un éboulement récent en Maurienne, la ligne Chambéry-Modane-(Turin) a été coupée à toute circulation pour plusieurs semaines. Trenitalia France, qui exploite ses Frecciarossa sur Paris-Lyon et Milan, pratiquait la même politique que les autrichiens : chaque rame intégrait un roulement hebdomadaire qui l’amenait aux bout de X jours à rejoindre Milan, où la rame était inspectée. L’éboulement français a isolé plusieurs rames en France où aucune inspection n’était plus possible, rendant le service impraticable sur Paris-Lyon. Une équipe mobile de Trenitalia a pu néanmoins venir en France pour effectuer les inspections d’usage. Le service Paris-Lyon a pu reprendre en partie.
Une situation qui aurait pu être évitée si Trenitalia avait son propre atelier à Lyon ou à Paris. Et qui nous ramène à la fameuse notion de facilités essentielles. De quoi s’agit-il ?
Selon la doctrine des «facilités» essentielles, une entreprise possédant une installation, un service ou une infrastructure importante et unique peut être astreinte – selon la législation adoptée -, à permettre l’accès à cette « facilité » à d’autres entreprises concurrentes ou filiales. C’est déjà le cas des gares voyageurs et des lignes ferroviaires, qui doivent accepter tout le monde sans discrimination. C’est aussi ce qu’on a voulu instaurer en ce qui concerne les ateliers d’entretien, mais ce n’est pas si simple.
Contrairement à l’infrastructure ferroviaire ou à d’autres installations de service, les installations d’entretien des matériels roulants ne correspondent pas nécessairement à des facilités essentielles stricto sensu, rappelle l’ART, le régulateur français. Généralement, explique l’institution, les entreprises ferroviaires souhaitent maîtriser au maximum la maintenance de leur matériel roulant, dans la mesure où celle-ci est fortement imbriquée à la gestion des plans de transport. Interrogées sur le sujet, de nombreuses entreprises ferroviaires déclarent ainsi envisager la construction de leurs propres installations de maintenance dans le cadre de leur entrée sur le marché français. Cela n’a visiblement pas été le cas ni de Trenitalia ni de Renfe, l’espagnol récemment arrivé sur le sol français.
L’opérateur Le Train, qui a pris langue avec Talgo, cherche lui aussi un atelier et il se pourrait bien – mais à ce stade on ne peut rien confirmer -, que ce soit le concessionnaire de la LGV Tours-Bordeaux, Lisea, qui construise lui-même le précieux atelier. Objectif de Lisea : rassurer de futurs potentiels opérateurs et ne plus dépendre de la seule SNCF. L’initiative de Lisea s’inscrit dans un contexte pluraliste et c’est probablement une voie d’avenir.
En Italie, c’est le gestionnaire d’infrastructure RFI qui possèdent des ateliers parfois réservés, comme celui de Mestre destiné à NTV-Italo. RFI a d’autres ateliers ailleurs dans la péninsule. Ceci montre que toutes les formules sont possibles pour offrir des services à de potentiels nouveaux entrants pourvus qu’il n’y ait pas de contraintes à l’accès.
Ce bref panorama avait pour but de montrer toute l’importance que revêt le secteur de la maintenance, à la fois par la sophistication grandissante des trains, mais aussi par l’évolution du cadre réglementaire où il fallait impérativement préciser les responsabilités des uns et des autres
Auteur : Frédéric de Kemmeter www.mediarail.wordpress.com