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La locomotive TRAXX, une grande réussite européenne

La TRAXX de feu Bombardier, aujourd’hui « Universal » chez Alstom, reste la locomotive la plus vendue en Europe.

La locomotive TRAXX, une grande réussite européenne
Credit photo: ALSTOM

Elle est la conséquence de la politique de libéralisation qui encouragea l’industrie à fournir une locomotive vendable dans toute l’Europe, tout en répondant aux besoins particuliers de chaque opérateur.

Il faut d’abord revenir aux circonstances. Dans les années 90, les chemins de fer sont à la croisée des chemins. D’une part pointe la libéralisation qui promettait l’apparition de nouveaux acteurs, ce qui signifiait de nouveaux marchés pour une industrie en pleine contraction. D’autre part, le parc traction de la plupart des compagnies historiques prenait de l’âge et était doté d’une technologie de plus en plus obsolète. Un remplacement s’imposait partout en Europe, à des degrés divers, mais une question hantait les directions du matériel roulant : fallait-il répéter – et améliorer -, les technologies des années 70/80 ou se lancer dans de nouvelles technologies de traction ? (1)

Évolution de la technologie et des puissances


L’une des raisons du succès de la locomotive TRAXX (ainsi que les Vectron de Siemens et Prima d’Alstom), tient à l’évolution importante de la chaîne de traction au cours des années 1990-2000. L’introduction de la traction par moteurs triphasés pour les locomotives et les rames automotrices en Europe a considérablement modifié la philosophie de la construction de véhicules similaires.

Alors que la traction reposait encore sur des moteurs à courant continu (notamment aussi sur les TGV PSE ou premiers Eurostar TMST ), la technologie des années 2000 entérina pour de bon l’utilisation de moteurs triphasés, quel que soit le courant capté et la tension reçue, continue ou alternative (2), et quel que soit le train utilisé (locomotive, automotrice, rame à grande vitesse).

Il y a d’abord eu une belle évolution de la maîtrise du traitement du courant de traction, rendue possible économiquement par la prolifération des semi-conducteurs au silicium dès les années 1970, ce qui a considérablement simplifié la construction de la partie électrique des locomotives. Il est devenu possible d’utiliser 1 ou 2 types de moteurs (selon la puissance requise), que la caténaire soit alimentée en tension continue ou alternative. Dans le cas de tension alternative, le courant est d’abord converti en continu à bord après une première réduction de tension par un transformateur (par exemple de 15 ou 25 kV à 1-2 kV), puis ce courant est converti par des onduleurs en tension triphasée, lequel alimente alors les 4 moteurs de traction de la locomotive (un moteur par essieu).

Il y a ensuite une évolution concernant la puissance de traction. La puissance spécifique du moteur asynchrone ou synchrone étant nettement supérieure à celle du moteur à courant continu (généralement de 1,4 à 1,6 MW contre 0,7 à 1,0 MW), il a été possible (tout en maintenant la puissance du véhicule) d’installer non pas six, mais quatre moteurs de traction, ce qui pouvait diminuer les coûts de maintenance à puissance égale, voire supérieure.

On est donc loin de la construction de locomotives à 6 essieux (provoquant plus d’usure de la voie) qui étaient auparavant la solution fournie aux opérateurs en Europe pour faire de la vitesse ou tracter du fret lourd. Souvenons-nous des CC6500 ou 40100 SNCF, des 1800 SNCB ou des BR101 et 151 de la DB, pour ne citer que quelques exemples.

La locomotives type de nos jours comporte 4 essieux, et la puissance des 4 moteurs triphasés permet de faire circuler des trains de marchandises plus lourds. La puissance actuelle des locomotives est de 5-6 MW sous courant alternatif contre 3-4 MW jadis (tout dépend de l’engin évidemment). Il convient cependant d’ajouter que des locomotives à 6 essieux continuent d’être construites, mais uniquement dans des circonstances justifiées.

Aux origines de la TRAXX


Bombardier en Europe, c’est aussi une réponse aux circonstances des années 90. En 1991, la DB lançait un appel d’offres pour environ 1000 locomotives universelles, de conception améliorée et de puissance accrue. Cet appel d’offres fut annulé en 1993 suite au prix élevé des offres et de l’évolution de la situation géoéconomique.

En 1994 en effet, la Deutsche Bundesbahn fusionnait avec sa sœur de l’Est, l’ex Deutsche Reichsbahn d’Allemagne de l’Est, créant ainsi la Deutsche Bahn. Cette fusion coïncida avec une profonde réforme des chemins de fer allemands. Cette réforme fit disparaître l’ancienne Direction Matériel roulant pour répartir le parc entre trois secteurs d’activité distincts : régional, grande ligne et fret. Cette politique rendait obsolète l’idée même de locomotive universelle. Les secteurs d’activité nouvellement créées lancèrent alors de nouveaux appels d’offres pour des locomotives électriques adaptées à leurs besoins spécifiques.

En novembre 1994, la Deutsche Bahn choisissait ABB et AEG pour deux commandes distinctes : ABB devait livrer 145 locomotives express pour le domaine d’activité grande ligne nommé DB Fernverkehr, la BR 101. De son côté, AEG devait fournir à DB Cargo 80 locomotives pour trains de marchandises de tonnage moyen, la BR 145.

ABB avait développé sa locomotive électrique modulaire, nommé Eco2000, bien connue en Suisse avec les Re460 achetées par les CFF. Le concept d’ABB comprenait une version de sa famille de bogies à grande vitesse Flexifloat avec un empattement de 2.650 mm, des onduleurs avec des thyristors GTO refroidis à l’ester biodégradable et un transformateur principal également refroidi à l’ester, qui peut être considéré comme l’origine des onduleurs et du transformateur de la première génération de locomotives TRAXX.

De son côté AEG livrait en 1994 une locomotive prototype nommée 12X. Cette locomotive avait une conception modulaire, permettant de décliner différentes versions, ce qui était la base même pour concourir aux appel d’offres des secteurs d’activité de la Deutsche Bahn. La 12X d’AEG servi de banc d’essai avec de nouvelles technologies, devenant la première locomotive au monde équipée de convertisseurs à base d’IGBT en 1997 et testant l’électronique de contrôle de la traction MITRAC à partir de 1998.

C’est clairement la chaîne de traction d’ABB qui pris place dans la 12X, en y retirant néanmoins les composants les plus chers. Réunis sous ADtranz, les deux constructeurs fournissent à la DB les BR 101 et les BR 145 comme convenus. Une version « voyageur régional » de la BR 145 fut aussi étudiée et livrée sous forme de la BR 146.

Mais tout cela ne concernait que le courant alternatif 15kV. Or ABB avait, entretemps, reçu une vaste commande du groupe FS italien, cette fois pour une locomotive régionale sous courant continu 3kV, la E464. Un détail exotique ? Pas vraiment. On verra plus bas pourquoi.

L’arrivée de Bombardier

Les turbulentes années 90 ne furent pas que technologiques. Dans la vaste redistribution des usines de construction ferroviaire, le canadien Bombardier débarquait en Europe et démarra ses emplettes en Belgique avec le rachat en 1988 de BN (Brugeoise & Nivelles) puis de ANF-Industrie en 1989 en France. La suite, ce sera tour à tour Waggonfabrik Talbot GmbH en 1995 (Aix-la-Chapelle), Deutsche Waggonbau AG puis DWA (Berlin) en 1998. Mais la plus grosse prise sera celle de 2001, avec l’acquisition d’ADtranz, une fusion des branches transports d’ABB-Henschel, AEG et Daimler-Benz.

Bombardier se retrouva donc avec les BR145 et 146 d’AEG, la BR 101 d’ABB mais aussi… la E464 d’ABB en Italie. Autrement dit, avec le retour d’expérience des deux tensions disponibles dans toute l’Europe: AC et DC. Ce point s’avérera capital pour la suite…

Car ABB avait reçu entretemps une nouvelle commande de la DB, cette fois pour trains de marchandises, la BR 185. Cette locomotive fut principalement développée après le rachat d’ADtranz, et peut donc être considérée comme la mère d’une nouvelle plateforme nommée « TRAXX ».

La marque TRAXX a été introduite en septembre 2003 avec la livraison des BR 185 à la DB. L’acronyme signifie Transnational Railway Applications with eXtreme fleXibility. Le fil conducteur du canadien est de profiter avant les autres des perspectives de la politique européenne : assouvir les besoins des nouveaux acteurs et répondre aux grosses commandes publiques partout en Europe avec des frais d’étude réduits.

Dans le nouveau système de vente, la désignation purement allemande « BR 185 » et de ses sœurs se transforma en TRAXX F140 AC, tandis que la BR146.1 (voyageur) devenait TRAXX P160 AC : F pour « Freight » et P pour « Passenger », les chiffres indiquent la vitesse, AC et DC indiquent la tension.

Plateforme TRAXX 2 (E186)

Réduire les frais de conception et aller au devant des attentes. L’idée de Bombardier fût de réunir en une seule locomotive les technologies en tension alternative et en tension continue, une chose qui n’intéressait pas les compagnies historiques à l’époque, beaucoup ne voyant pas l’intérêt d’une machine internationale ! Bombardier l’a fait. C’est ainsi qu’une locomotive à l’origine purement allemande et (partiellement) suisse et italienne, devînt une arme de vente redoutable et au final réussie.

En 2004, la conception de base faisait l’objet d’une importante révision : la caisse et les fronts étaient redessinés pour répondre aux normes de résistance aux chocs, tandis que les onduleurs à thyristors GTO étaient remplacés par des onduleurs à IGBT. Le liquide de refroidissement des onduleurs et du transformateur principal passèrent de l’ester à l’eau.

L’option de commande individuelle des essieux au lieu de la commande individuelle des bogies fût également introduite. Le châssis du bogie était renforcé pour permettre une augmentation des charges par essieu à 22 tonnes.

Si les composants proviennent de plusieurs lieux de fourniture, l’assemblage final n’a lieu que dans l’usine de Kassel en Allemagne (pour les multi tensions) et à Vado Ligure (pour la variante à courant continu).

Bombardier a poursuivi la livraison de 82 machines BR146 pour le trafic régional de DB Regio et 27 machines pour les grandes lignes (DB Fernverkehr). Cet ensemble était livré sous la gamme TRAXX 2 tout en restant monocourant 15kV. De même, DB Cargo prenait livraison de 409 machines BR185, un des plus gros parc TRAXX de la DB, mais bicourant 15kV – 25kV. La plateforme E186 était désormais bien lancée.

La conception de la caisse et la configuration interne de la TRAXX ont été à nouveau modifiées en 2006, à l’occasion de la construction de la première version diesel-électrique.

Deux séries distinctes sont à prendre en compte :

Les « Dual voltage » qui circulent uniquement sous tension alternatives 15kV et 25kV. Elle sont représentées par les TRAXX F140 AC, P140 AC, P160 AC et consort ;
Les « MS », multi services, ou plutôt F140 MS, appelée en Allemagne BR186, sont considérées comme la deuxième génération des Traxx 2. Elles sont quadricourants et pèsent 1 tonne de plus que leurs soeurs « Dual ». Hormis les différents pantographes et appareillages pour le fonctionnement en courant continu, les types F140 MS sont identiques aux versions « Dual voltage ».

La F140 MS va réellement internationaliser le marché traction de Bombardier. Des enquêtes menées auprès de clients potentiels avaient en effet révélé une demande pour l’installation de pack de sécurité en série de 4 ou 5 pays, en l’absence d’ETCS. En outre, ces packs devaient également pouvoir être mis à niveau, complétés ou modifiés à un coût raisonnable, les locomotives étant susceptibles d’être transférées d’un opérateur à l’autre à moindre frais. Du jamais vu jusqu’alors.

Osons le dire: ce sont les société de leasing qui étaient avant tout intéréssées par cette solution, et non les entreprises historiques. Trois séries de packs de sécurité comprenant des pays où le marché était dynamique avaient été identifiées :

Allemagne, Autriche, Suisse, Italie (DACHI) ;
Allemagne, Autriche, Belgique, Pays-Bas (DABNL) ;
Allemagne, Autriche, Pologne (DAPL).

Cette production internationale mais « techniquement régionalisée » a permis d’étendre le marché vers les pays « à courant continu », Benelux, Italie, Pologne et finalement la France. Elle a alors permis à Bombardier d’atteindre tous les pays d’Europe, Scandinavie incluse. C’est à ce stade qu’on peut mesurer le succès de cette locomotive.

PKP Cargo par exemple les a désigné comme série EU43. Les unités achetées par Alpha Trains et louées à la SNCB (et feu B-Cargo) recevaient la numérotation série 28 et 29. En Espagne, la Renfe les a classé 253. Bien d’autres opérateurs et sociétés de leasing ont commencé à acquérir une quantité importante de ces TRAXX.

En 2018, certains chiffres – certes contradictoires -, indiquaient près de 2.300 TRAXX en service, mais on ne sait pas si on doit compter aussi les toute premières BR145, BR146 et les 700 machines E464 italiennes, considérées comme « pré TRAXX »…

Toujours est-il que la E186 « MS », ou simplement E186, est devenue l’icône même de la libéralisation du rail, puisqu’on en trouve même au sein du parc de Fret SNCF pour ses trafics vers Anvers ou Liège, en Belgique. Et c’est aussi la machine attitrée de ECR en France, ainsi que de dizaines d’autres opérateurs partout en Europe. Dorénavant, les E186 roulent de Palerme à Oslo et de Malaga à Varsovie.

Plateforme TRAXX 3


Le 4 juillet 2018, la première locomotive TRAXX MS3 était officiellement dévoilée à l’usine de Kassel devant plus de 100 représentants d’opérateurs ferroviaires. Cette famille TRAXX 3 était proposée en variantes AC, DC et multi-systèmes. Pour l’occasion, les faces frontales avaient reçu un nouveau design, un peu plus en rondeur.

Bombardier déclarait alors que cette TRAXX MS3 quadricourant était la seule locomotive multisystème sur le marché dotée d’un moteur diesel de dernier kilomètre. Un avantage clé qui permet de parcourir les derniers kilomètres sans caténaires pour rejoindre les installations du client sans avoir recours aux fameuses « locos de manœuvre »…

Cette TRAXX MS3 était directement commandée par TX Logistik (groupe FS) en 40 exemplaires avec une option pour 25 autres, tandis qu’Akiem en commandait déjà 10. Son succès ne s’est plus démenti depuis au vu des récentes commandes qui tombèrent les unes après les autres, surtout après la pandémie…

Les concurrents ont-ils manqué quelque chose ?

Mais que se passait-il chez les autres constructeurs qui, comme Bombardier, avaient fait leurs emplettes en Europe en créant un portefeuille important d’usines et de plateformes spécialisées ?

Siemens, très occupée avec ses commandes pour la DB et les ÖBB (Taurus), tenta une remontada entre 2003 et 2006, avec sa BR 189 « internationale » qui n’a pas eu un franc succès (photo ci-contre, aux Pays-Bas). La grande firme de Munich regroupa – comme Bombardier -, ses études sur une seule plateforme nommée Eurosprinter, dont sont finalement issues les séries 18 et 19 SNCB (120 machines), véritable première internationalisation sous courant continu. La Belgique a permis à Siemens de trouver un retour d’expérience indispensable qui lui a permis de créer en 2010 la plateforme Vectron, laquelle a vraiment fait décoller les ventes de Siemens en Europe. La Vectron peut être – comme la TRAXX -, quadricourant et est conçue pour répondre à tous les appels d’offres possibles dans toute l’Europe. À ce jour la Vectron, c’est un peu plus de 1.600 commandes fermes dans plus de 20 pays…

De son côté Alstom tenta aussi de prendre une place européenne. Ce fut d’abord la laborieuse mise au point de la BB 36000 qu’Alstom voulait « universelle » mais dont la SNCF ne savait que faire. Une machine de toute façon pas prévue pour la rive droite du Rhin…

Vînt ensuite la période Prima. Hélas la Prima I avait une conception tellement « SNCF » qu’elle était peu vendable en l’état. Il lui fallait une patte et un design plus « européo-compatible » (3). Alstom tenta de corriger le tir en sortant la Prima II en juin 2009, mais il était trop tard. La crise financière de 2008, des corridors de fret pas encore si développés, une absence de marché, une chute des trafics, tout cela fit de la Prima II une locomotive pour l’overseas, hors Europe.

Le rachat de Bombardier en 2021 par la firme française lui permet donc de revenir sur un marché manqué. Alstom a changé le nom TRAXX en « Universal ». Il sera cependant difficile de lui retirer ses claires origines allemandes, tant il y a d’exemplaires en service dans toute l’Europe.

Mais c’est un fait indéniable : cette locomotive prouve qu’avec un bon processus industriel, on peut aller loin, très loin.🟧

(1) Le même genre de question avait jailli dans les années 50 concernant le maintien – ou non -, de la traction à vapeur…

(2) C’est une des raisons qui milite pour mettre hélas à la casse ces engins encore mû par les anciens moteurs à courant continu. Les pièces de rechange se font plus rares et l’idée – souvent reprise dans les médias -, de lancer des TGV de seconde main oublie le spectre d’une croissance des coûts de maintenance.

(3) Une soixantaine de BB 37000 sont néanmoins autorisées vers Bâle-Muttenz et en Allemagne, pour le compte de Captrain (source Le Train spécial n°103 p67).

Auteur: Frédéric de Kemmeter

www.mediarail.wordpress.com

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