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Le Talgo Avril, dernier né du constructeur espagnol
Après les ICE de Siemens, le Frecciarossa d’Hitachi rail, le TGV-M d’Alstom, un quatrième larron est à poser sur l’étagère : le Talgo Avril.
Entendez : des trains conçus pour au minimum V250. L’occasion de parler d’un firme qui s’installe durablement dans la grande vitesse ferroviaire et qui a des atouts à faire valoir.
On ne présente plus Talgo. Le 21 août 1941, Alejandro Goicoechea, , technicien basque, mena l’expérimentation sur site d’un très curieux ensemble ferroviaire articulé. Cet ensemble était tiré par une locomotive à vapeur et atteignit déjà 75km/h sur le tronçon Leganés-Villaverde. Encore fallait-il vendre le produit, sans quoi son utilité était nulle. L’entrepreneur s’empressa en 1941 et 1942 de protéger son « concept articulé » par deux brevets espagnols (n°151396 et n°159301) et deux français (n°883808 et n°898376). La firme Talgo était née.
80 années plus tard, l’entreprise est toujours bien présente, n’a pas été rachetée par on ne sait qui, et demeure une référence dans le paysage ferroviaire industriel. La firme repose sa réputation sur ses rames articulées. Mais à la différence d’Alstom qui le fait avec des bogies à deux essieux, Talgo a conçu un système ingénieux de « roues indépendantes », comme l’illustre fort bien la photo ci-dessous :
Credit photo: mediarail.be
La centre de gravité très bas des rames Talgo permet à la firme d’offrir une largeur plus généreuse, ce qui permet une configuration différente des sièges, nous le verrons plus loin.
Généralement, la technique de rame articulée, tant de Talgo que d’Alstom, ne permet pas la motorisation répartie tout au long de la rame et oblige donc à maintenir le concept de rame encadrée par deux motrices. Alstom a pourtant conçu une rame articulée à grande vitesse avec motorisation répartie, l’AGV, mais n’a plus poursuivi dans cette voie après les 25 rames vendues à NTV-Italo.
Il y a les défenseurs de la rame encadrée par deux motrices, tout comme ses détracteurs, qui font valoir que sur une rame de 200m, on perd pas mal de sièges à cause de leur présence.
On notera aussi que cette technologie de roue indépendante de Talgo a permis aussi d’élaborer le train à écartement variable, l’Espagne ferroviaire ayant été bâtie à l’écartement 1.668mm, alors que le reste de l’Europe, et le voisin français, ont l’écartement standard 1.435mm.
Le Talgo à grande vitesse
En avril 1998, la RENFE commandait 32 rames à grande vitesse destinée à couvrir les services AVE entre Madrid et Barcelone, dont l’ouverture était prévue pour 2004. Cette fois, plus question d’acheter Alstom comme pour Madrid-Séville (inauguré en 1992), mais d’opter pour un pur produit national. Le consortium entre Talgo et Adtranz (devenu Bombardier par la suite) remportait l’appel d’offre et s’activa alors sur ce qui s’appelait le « projet Talgo 350. »
Ainsi arrivèrent sur les voies espagnoles le Talgo S-102 et ses étranges motrices au long nez, appelé « pato » (canard) outre-Pyrénées. Étrange ou pas, le Talgo « pato » a tout de même été vendu en Arabie Saoudite dans sa configuration grande vitesse.
Le Talgo Avril
En 2016, la RENFE a attribuait à Talgo un marché de 15 nouvelles rames à grande vitesse, en retenant le nouveau train Avril développé par l’industriel espagnol. D’un montant de 786 M€, le contrat incluait également la maintenance pour 30 ans. Aptes à 330 km/h, ces rames devaient être équipées pour le service international, avec ASFA, LZB, ERTMS et TVM430, ce qui indiquait une utilisation programmée de facto pour la France, du moins pour certaines rames.
Le Talgo Avril – acronyme de « Alta Velocidad Rueda Independiente Ligero » -, reprend bien-sûr les bases et l’expérience des rames articulées qui ont fait le succès de la firme espagnole. Mais il est avant tout le fruit d’une vision.
Talgo souhaitait tirer le meilleur parti du gabarit européen pour réaliser des gains d’efficacité. Dans un système dominé par des coûts fixes élevés, il est primordial d’attirer le plus grand nombre possible de voyageurs et de maximiser l’utilisation des actifs. Transporter plus de voyageurs par train permet d’augmenter les revenus, même avec tarifs réduits, et rendre le rail plus attractif, une exigence forte des clients opérateurs.
Il fallait donc maximiser la capacité d’emport sur une rame d’une longueur de 200 m. Les remorques ont une largeur de 3.200 mm, soit environ 200 à 250 mm de plus que les voitures européennes dites « UIC ». Combiné à l’absence de bogies et à des intercirculations très courtes entre remorques, Talgo réussit au final à caser 521 places assises moyennant un aménagement inédit à 5 places de front en classe Turista et à 4 places de front en classe Preferente.
Avec 12 remorques et l’utilisation de sièges 3+2 et 2+2, le Talgo Avril offre 497 sièges dans les versions à deux classes et un maximum de 581 dans une variante à grande capacité. En configuration double, la version grande capacité offrirait jusqu’à 1.162 places sur un seul niveau avec un seul conducteur, ce qui permet de maximiser l’utilisation de chaque sillon.
Les motrices ont abandonné leur nez « pato » au profit d’un design plus classique mais recherché pour minimiser la résistance à l’air. En regardant bien, ces motrices, du fait de leur longueur, sont un poil moins larges que le tronçon lui-même, ceci pour s’inscrire dans les courbes conformément aux critères des STI. Elles sont équipées au total de 8 moteurs asynchrones triphasés et de commandes à convertisseurs IGBT. La puissance nominale n’est que de 8 000 kW, bien inférieure à celle des autres trains à grande vitesse, mais cela permet de réduire la consommation d’énergie.
Concrétisation
Un premier prototype fût développé et présenté à InnoTrans 2012 à Berlin, tandis qu’un premier programme de tests se déroula d’avril 2014 à mai 2016, afin de certifier que plus de 100 caractéristiques de la rame soient conformes aux spécifications techniques d’interopérabilité. C’était un changement important par rapport aux S-102, puisque le Talgo Avril devait être aussi un train à vendre à l’international.
Autre différence : il fallait homologuer le Talgo Avril pour une exploitation à 330 km/h, ce qui était une première pour un train adoptant la technologie de changement d’écartement automatique de Talgo. Tous les trains précédents à changement d’écartement étaient en effet limités à 250 km/h maximum. Le prototype a finalement été approuvé en Espagne le 13 mai 2016 après avoir parcouru plus de 76.000 kilomètres. Il répond aux spécifications techniques d’interopérabilité.
En 2017, une option pour 15 rames supplémentaires était confirmée par la RENFE, avec différentes configurations d’aménagement, et notamment 10 rames munies des équipements de signalisation français TVM et KVB.
Viser le marché européen
Le développement du Talgo Avril a permis à l’entreprise d’anticiper à la fois la libéralisation et l’internationalisation du matériel roulant et des opérateurs. Le train a été conçu, selon le constructeur, pour être compétitif sur un marché ouvert et faire tomber les nombreuses barrières à l’interopérabilité qui persistent encore.
Le premier témoignage de cette politique est venu de France, quand la société Le Train a signé pour 10 rames Talgo Avril qui sont prévues monoclasse mais avec « un confort supérieur au lowcost » ainsi que l’emport possible d’une quarantaine de vélo.
Outre l’internationalisation en cours des opérateurs ferroviaires nationaux européens, les scénarios d’exploitation complexes posés par les écartements mixtes dans la péninsule ibérique ont fait évoluer la plateforme Avril vers cinq variantes distinctes (ci-contre). Sur les 40 unités actuellement commandées, les deux principales différences tiennent aux 15 rames qui seront équipées pour le changement d’écartement 1435/1668 mm (et destinées à la Renfe), tandis que 15 autres rames – également destinées à la Renfe -, n’auront que l’écartement 1435 mm. Dix d’entre elles devraient en outre être certifiées pour circuler en France. À cela s’ajoute les 10 nouvelles commandes de la société française Le Train, appelées à ne circuler qu’en France, et dont on ne connaît pas les détails à ce jour sauf qu’elles ne seraient aptes qu’à circuler qu’en France.
L’efficacité énergétique, la grande capacité, l’interopérabilité et les faibles coûts du cycle de vie deviennent dorénavant des arguments incontournable pour faire du Talgo Avril un outil commercial puissant dans le monde changeant du marché européen du transport ferroviaire voyageurs. Le Talgo Avril a commencé les essais sur un tronçon de la ligne Madrid-Galice, après avoir terminé les essais d’homologation début février. Ces différentes phases devraient alors mener aux autorisations de l’Agence nationale pour la sécurité ferroviaire et de l’Agence ferroviaire de l’Union européenne.
Auteur: Frédéric de Kemmeter
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