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La longueur optimale des trains de marchandises
Une des clés pour améliorer les volumes de fret ferroviaire serait d’augmenter davantage la longueur des trains
Une idée qui est répandue ailleurs mais qui, en Europe, ne peut être entreprise que sous certaines conditions techniques.
C’est encore une conséquence historique : chaque réseau limite la longueur des trains de marchandises selon ses critères propres.
En Espagne, la majeure partie des voies d’évitement du réseau impose une longueur maximale de 450 mètres, avec pas mal de tronçons encore plus courts.
En Italie, le réseau est loin d’être uniforme. Chaque ligne de chemin de fer possède des contraintes sur la masse maximale qui varie en fonction du type de locomotive utilisée. Pour une locomotive moyenne, les masses autorisées sont de 1.600 tonnes dans le nord de l’Italie, mais on descend à 1.500 tonnes si le train se dirige – ou quitte -, Gênes. Sur la ligne Tyrrhénienne, la charge descend encore à un maximum de 1.300 tonnes, chiffre bas qui est lié aux caractéristiques de la ligne Livourne-Rome. Sur le tronçon adriatique, il est possible de combiner des trains jusqu’à 1.600 tonnes, tandis qu’il existe des restrictions sur le tronçon Padoue-Trieste à 1.280 tonnes. On mesure tout de suite le problème quand il faut faire rouler un train d’un bout à l’autre de l’Italie…
En Allemagne en 2016, plus de 60 % des trains de marchandises circulant sur le réseau de la Deutsche Bahn ont une longueur inférieure à 600m. Un train de marchandises en 2016 était en moyenne composé de 25 à 30 wagons, sans qu’on précise la taille de ces wagons. C’est une moyenne assez basse.
En France, les trains ont déjà une longueur admissible de 740m. L’axe Perpignan – Luxembourg fût le premier à autoriser des trains plus longs, de 850m, portant la charge maximale à 2.400 tonnes au lieu de 1.800, ce qui est un sérieux progrès. Avec 2 locomotives série 27000 ou 37000, ce type de train traverse la France en 15 heures à 70 km/h de moyenne.
Certaines liaisons entre Perpignan, Le Havre, Lille et Luxembourg sont déjà disponibles pour des trains de fret de 850m depuis plusieurs années. Les itinéraires se concentrent sur la vallée du Rhône au sud de Dijon, l’ancienne ligne principale PLM vers Paris au nord de cette ville, et de Dijon à Metz via Nancy.
Ailleurs dans le monde
On peut faire quelques comparaisons avec ce qui se fait ailleurs dans le monde, avec toute la prudence qui s’impose, car les caractéristiques des réseaux diffèrent fortement de ceux de l’Europe, notamment par l’absence ou la grande faiblesse du trafic voyageurs.
Les États-Unis ont fixé la limite de leur train de marchandises à 3.658 m, en raison des limites imposées à la technique du frein à air comprimé, technique utilisée partout, y compris en Europe. Les trains de marchandises australiens mesurent entre 1.500 et 1.800 mètres de long, selon la partie du réseau ferroviaire sur laquelle ils circulent.
Mais c’est dans la catégorie des transports de minerais que l’on rencontre les pus grands records. Au Brésil, ce type de train peut atteindre 3.200m de longueur. En Australie, le minerai de fer de BHP Billiton est transporté par des trains de 2.400m avec 264 wagons et 4 locomotives.
Quelles astuces techniques ?
La taille d’un train de marchandises est importante car l’intérêt principal est évidemment d’ordre économique… et même écologique.
L’avantage économique est évident. L’augmentation de la longueur des trains impacte bien évidemment sur la capacité d’emport. En Espagne, le simple fait de passer d’une longueur de 540 à 600m de long entre l’usine Renault de Palencia et le port de Santander a permis de transporter 20 autos de plus par train, soit 15% de capacité supplémentaire.
On doit donc viser sur trois axes principaux :
Construction de nouveaux ouvrages d’art avec déclivités plus favorables aux trains de grandes longueurs ;
Allongement des voies d’évitement et éventuelle adaptation des circuits de voie en signalisation ;
Adjonction d’un nombre optimal de locomotives télécommandées pour abaisser la consommation par tonne transportée.
Les grands ouvrages d’art sont parfois contestés au niveau idéologique, car ils sont conçus dans une optique de croissance (dès l’instant où certains groupes politiques réclament au contraire de la décroissance). Cependant, ces ouvrages d’art permettent d’augmenter les capacités pour plusieurs décennies et préservent la compétitivité d’un mode respectueux du climat.
Ainsi, côté italien, les travaux menés au-delà du Gothard et du Simplon en Suisse ont porté en 2020 la capacité totale des infrastructures ferroviaires à 390 trains par jour contre 290 précédemment. Les travaux du Brenner, en Autriche, porteront la capacité de l’itinéraire à 400 trains de marchandises quotidiens.
En France, la ligne de la Maurienne nous montre un exemple où les limites sont vite atteintes. Cet axe international majeur qui passe par Modane, ne peut admettre des trains de plus de 1.600 tonnes et de plus de 600 mètres de longueur. L’actuel tunnel du Mont-Cenis, d’environ 13 km, est exploité est sous la responsabilité de RFI (Rete Ferroviaria Italiana), en vertu d’un accord binational. Entre Chambéry et Saint-Jean de Maurienne, les déclivités limitent actuellement le poids des convois à 1.500 tonnes avec une seule locomotive. Aujourd’hui, une allège complémentaire (une locomotive de plus) est obligatoire aux trains à St Avre pour passer les zones de forte pente entre St Jean de Maurienne et Modane. Cela nécessite davantage de moyens humains et rend le fret ferroviaire non-compétitif.
D’où parfois la nécessité de construire de nouveaux ouvrages, avec des investissements certes colossaux, mais dont l’investissement est réparti sur presque 100 ans de vie de l’ouvrage.
Les Suisses ont choisi cette lourde option, avec la construction de trois tunnels. En 2016, AlpTransit Gotthard avait vérifié pendant la phase de test pour la mise en service du tunnel de base du Saint-Gothard, le transit d’un train de marchandises de 1.500m de long, ce que permet un nouvel ouvrage, à l’inverse de l’ancien tunnel du Gothard.
Le train d’essai était composé de 76 wagons répartis en wagons plats, wagons à capots télescopiques et wagons conteneurs non chargés. Le train de marchandises, d’un poids de 2.216 tonnes, était tiré par trois locomotives Re620 positionnées au début, au milieu et à la fin du train. Le système de signalisation et de protection des trains ETCS niveau 2 était également testé à plusieurs reprises lors du passage de trains de marchandises aussi longs sur les 57 kilomètres du tunnel de base du Saint-Gothard. Parmi les défis, il fût évalué la possibilité de faire reculer un train de marchandises de cette longueur hors du tunnel en cas d’urgence.
Reste évidemment à vérifier si cette longueur et ce poids sont exploitables entre Bâle et le tunnel, là où les trains de marchandises doivent se mêler au flux important des trains de voyageurs.
Les voies d’évitement
Les normes européennes pour la longueur d’un train de marchandises sont de 740 mètres et parfois de 835 mètres. Un train de marchandises de 740 mètres remplace 52 camions.
Les longueurs variables sur le réseau d’un même pays n’incitent pas à la compétitivité du chemin de fer. En Italie, les longueurs admises varient de 480 à 625m selon certaines lignes, ce qui complexifie un peu plus le processus quand on veut faire circuler un train d’un bout à l’autre du pays. Il y a là un travail important pour uniformiser le réseau complet, ce qu’entreprend RFI.
Cependant, la demande pressante des opérateurs soit justement de ne pas être garés tout le temps, malgré les gros flux de trains de voyageurs. Faire arrêter puis redémarrer un lourd train de marchandise tous les 50km n’est pas très écologique…
Entre 2012 et 2015, une exploitation avec des trains de marchandises plus longs a été testée entre la gare de triage de Maschen (Hambourg) et Padborg, à la frontière du Danemark. Après la mise à niveau de l’itinéraire complet de 210 kilomètres, des trains de marchandises d’une longueur allant jusqu’à 835 mètres (40 wagons) circulèrent sur cette relation. Au Danemark, des trains de marchandises de 835 mètres sont utilisés depuis longtemps. Auparavant, les trains arrivaient à la gare frontière de Padborg en deux lots séparés, tandis qu’actuellement ils peuvent circuler en continu depuis Hambourg.
En avril 2021, les tests ont poussé plus loin, entre Hambourg et Malmö en Suède (via Padborg et le Danemark), dans le cadre du projet visant à démontrer que des trains plus longs tractés par une seule locomotive, ici la EG 3109, étaient possibles en empruntant le fameux pont de l’Øresund entre le Danemark et la Suède. La locomotive était une EG danoise à 6 essieux de DB Cargo.
Un exercice intéressant alors qu’en Suède, la longueur maximale autorisée des trains est de 730 mètres avec le type de freinage P, tandis que l’infrastructure limite dans de nombreuses voies la longueur pratique des trains à 630 mètres. Cela signifie qu’un train danois de 800m doit être coupé en deux lots à Malmö pour continuer en Suède.
Comment convertir tout le réseau ?
Le problème est toujours d’ordre financier et dépend largement des politiques d’investissements chaque pays. Convertir la totalité des réseaux européens à 750 ou 835m est illusoire. C’est une des raisons pour laquelle l’Europe a créé des corridors RTE-T spécifiques, qui sont censés reliés tous les grands bassins industriels d’Europe et qu permettent de concentrer les investissements. Six corridors de ce réseau RTE-T transeuropéen traversent notamment l’Allemagne , dont la liaison nord-sud la plus importante entre Rotterdam/Anvers et Gênes, qui longe le Rhin et relie les centres économiques allemands de Rhein-Ruhr et Rhein-Main-Neckar. L’avantage de ce réseau est évidemment que l’Europe paye…
Mais la longueur des voies d’évitement n’est pas tout. Pour des trains plus longs, des conversions techniques deviennent nécessaires pour un train de marchandises de 1000m de long ou plus, car le comportement de conduite et de freinage change également avec la longueur et le poids du train. Le temps de réaction de freinage entre la locomotive de tête et le dernier wagon peut différer de quelques secondes, ce qui est mauvais pour la sécurité et pour les attelages.
L’idée est alors de mettre une locomotive au milieu du train ou en queue du train. Mais ce n’est pas si simple.
En France, financé par 16 partenaires dont RFF (actuellement SNCF Réseau), Fret SNCF et l’Europe, le projet Marathon a expérimenté en avril 2014 un train long de 1500 m sur un corridor expérimental entre le triage de Sibelin au sud de Lyon et le site de Nîmes Courbessac. Ce train de 1.524 mètres, soit le train le plus long d’Europe à l’époque, pesait 4.026 tonnes et comportait 72 wagons. Une des BB 37000 de la SNCF, équipée de contrôle-commande spécifique, était placée au milieu du train.
Selon la SNCF, ce projet permettrait d’économiser 5% d’énergie par tonne transportée, et vise une réduction du coût du km-train de 30% par rapport aux circulations actuelles.
Dans les années suivantes, Fret SNCF et SNCF Réseau lancèrent une deuxième série d’essais autour de rames longues de 1.000 mètres. D’octobre à décembre 2015, douze circulations furent ainsi analysées entre Somain dans le Nord et Woippy en Moselle. Ces tests avaient vocation à valider la faisabilité technique des rames de 1.000 mètres. Un des essais consistait en un train Somain – Uckange circulant pour le compte d’ArcelorMittal, avec 67 wagons et une charge de 5.410 tonnes sur une longueur de 947 m avec 3 machines dont 2 en tête circulant à 100 km/h.
En 2019 en Allemagne, un train-bloc de 530m de long et pesant 3.500 tonnes faisait un essai avec « fonctionnement en sandwich », c’est à dire deux locomotives, une à l’avant et une à l’arrière, sur une ligne plate entre Hambourg et Brême.
En 2021, DB Cargo a entrepris des essais avec 2 locomotives réparties sur toute la longueur du train. Les essais de la DB s’inscrivaient dans le cadre du programme européen de recherche « Shift2Rail » et se sont déroulés sur la ligne à forte déclivité entre Probstzella et Hochstadt-Marktzeuln près de Lichtenfels. L’enjeu était de résoudre la question de la connexion par télécommande entre les locomotives dont une située au milieu du train (650m dans ce cas-ci), quelque chose qui est courant aux États-Unis.
Les locomotives TRAXX MS 188 et deux engins MS 187 tractaient une rame de wagons vides de types Facns 124, Facns 133 et Rens 677 et avec des wagons chargés de type Eanos 059.
Les premiers résultats ont confirmé la faisabilité de l’exploitation de longs trains de marchandises avec une « traction distribuée » en utilisant la technologie LTE (Long-Term Evolution). Il s’agit d’une norme de télécommunications haut débit sans fil considérée comme un remplacement pour la norme industrielle actuelle GSM-R. LTE n’est pas la dernière technologie 5G, mais un mélange de télécommunications sans fil 3G et 4G améliorées.
Très chère énergie
La quantité de locomotives à placer dans un convoi est aussi une question importante. Outre la question technique de la télécommande (réaction au freinage, à l’accélération), il s’agit aussi de mesurer ce qui est le plus optimal au niveau consommation de courant. Dans certaines circonstances, deux locomotives sur un train long permettent d’abaisser la consommation par tonne transportée.
En Espagne, une recherche sur la consommation d’énergie fût effectuée sur trois trains de différentes longueurs roulant sur la ligne Madrid-Valence : un train de 750m avec deux locomotives en UM (unités multiples), un train de 500m également tracté en UM et un train de 490m avec une seule locomotive.
Les résultats montrèrent qu’avec 29.707 kWh/km, le convoi de 750 mètres consommait le plus des trois trains, avec deux locomotives. Toutefois, l’interprétation des chiffres diffèrent si l’on considère la quantité d’énergie électrique nécessaire pour transporter chaque tonne nette de marchandises. Dans ce cas, le train de 750m consommait 0,03201 kWh/tonne-km et émettait 7,902 gCO2/tonne-km, soit moins que le train de 490m avec une seule locomotive (0,03239 kWh/tonne-km et 7,997 gCO2/tonne-km).
« Cela est principalement dû au fait que la consommation induite par la masse (résistance mécanique) est répartie sur davantage de tonnes de fret« , expliquent les chercheurs. « La consommation dans les trains de marchandises est conditionnée par la masse du train et non par l’aérodynamisme, comme c’est le cas dans les trains à grande vitesse« .
Bien entendu, la notion de masse diffère de celle de longueur. On peut avoir 1.500 tonnes de marchandises légères requérant un train long, tandis qu’un train de 1.500 tonnes de produits sidérurgiques ou de vrac sera probablement relativement plus court.
Pour conclure, on observe que les tentatives d’allonger les trains commencent à porter leurs fruits jusqu’à 800m. Mais il y a encore beaucoup de travail à fournir pour aller au-delà. Entre investissements en infrastructure (tunnels, voies d’évitement plus longues) et l’intégrité des convois, notamment via le futur attelage automatique, ainsi que la télécommande de plusieurs locomotives sur un même convois, des choix importants vont devoir être fait avec l’établissement de normes standards au niveau européen.
Auteur : Frédéric de Kemmeter wwww.mediarail.wordpress.com