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Quelques bénéfices des grandes infrastructures souterraines

Les tunnels ferroviaires ont toujours été des infrastructures coûteuses. Ils permettent non seulement de franchir des obstacles naturels, comme les montagnes, mais ils permettent aussi de traverser la ville et de desservir l’hypercentre

Quelques bénéfices des grandes infrastructures souterraines

Les débats se font jour actuellement sur l’opportunité de construire de telles infrastructures, alors qu’il est supposé qu’un transport public local pourrait suffire.

Hambourg, Munich, Stuttgart, Madrid ou Londres. Ces cinq villes ont en commun le fait qu’elles construisent ou dédoublent un tunnel ferroviaire déjà existant. Ces grands travaux d’infrastructures souterraines ont évidemment un prix et suscitent des questions sur l’opportunité de telles dépenses. Ce débat rejoint aussi celui de savoir s’il n’est pas plus utile de construire des trams en surface plutôt qu’un métro en souterrain. Mais pour comprendre les arguments des uns et des autres, il faut bien regarder ce qu’il y a derrière.

L’intermodalité a souvent été un rêve de politiciens mais rarement celui des voyageurs. Passer d’un transport à l’autre suppose une bonne synchronisation qui échappe complètement au candidat voyageur, puisqu’il ne « contrôle » pas son déplacement de bout en bout mais s’en remet à plusieurs opérateurs.

La rupture de charge a trois inconvénients majeurs :

- l’obligation d’être munis d’un titre de transport local en plus de celui du train ;
- en théorie, jongler avec plusieurs transports en ville devrait être un jeu d’enfant mais l’expérience a montré que les perturbations chez l’un peuvent anéantir chez les autres tous les avantages d’utiliser les transports publics ;
- quiconque a fait l’expérience de traverser Paris ou Londres avec de grosses valises pour aller d’une gare à l’autre ne parle généralement pas d’une bonne expérience.

Il a déjà été largement prouvé que le nombre de ruptures de charge est le principal facteur influençant le choix du mode de transport.

Certes, on ne construit pas des infrastructures lourdes uniquement pour éliminer les ruptures de charge. Dans de nombreux cas, il s’agit aussi de fluidifier le trafic. Une gare en cul-de-sac oblige les trains à faire demi-tour, ce qui prend nettement plus de temps que de faire passer le même train qui ne reste à quai qu’une minute ou deux, puis poursuit son voyage.

Les opérateurs préfèrent en effet, surtout là où il y a beaucoup de monde, de faire passer leurs trains de manière « traversante ». Sans cela, une ville comme Copenhague ne pourrait pas exploiter un RER toutes les 2 minutes 30 environ sur le tronçon central de la ville, bien que le S-Tog danois n’utilise pas un tunnel mais la gare centrale en surface.

Une ville pour qui ?

Les infrastructures souterraines ont aussi cet avantage d’enterrer la technique et de ne pas abîmer les quartiers traversés, comme ce fut le cas à Bruxelles avec la Jonction ferroviaire Nord-Midi. Paradoxalement, l’opposition aux infrastructures souterraines a pris une acuité particulière ces dernières années avec la montée en force du « rejet du béton » (accusé d’être un outil du capitalisme BTP), et pour requalifier les villes en lieu de vie « apaisant » pour les habitants plutôt qu’un lieu d’affaires, de commerces et de consommation.

Mais la ville, quand elle est capitale nationale ou régionale, est-elle un lieu qui n’appartient qu’à ses habitants ? La présence de nombreuses administrations nationales et locales, d’universités et d’hôpitaux suggère de répondre qu’elle appartient à tout le monde. Il faut donc en faciliter l’accès à tous.

Les limites du tram

Selon l’attrait d’une ville, le réseau de surface n’est parfois pas en mesure d’absorber les flux importants venant de l’extérieur, surtout aux heures de pointe. Cette assertion peut aujourd’hui être nuancée avec la généralisation du télétravail, mais on ne peut pas prédire comment se comportera l’avenir, avec ou sans pandémie.

Dans la ville championne du tram-train, Karlsruhe, l’idée de départ était de faire converger toutes les lignes de tram-train via une rue commerçante principale. Le succès fut tel qu’en heure de pointe, jusqu’à 144 trams de six lignes différentes convergent vers la place du marché et la célèbre rue commerçante Kaiserstraße. Laquelle se plaint : on n’y voit plus qu’un mur de trams à certaines heures de la journée. Pire : le règlement de l’AVG n’autorise pas les conducteurs à ouvrir les portes en cas d’embouteillage de trams ou d’un tram en panne qui bloque tout. Les passagers doivent patienter à bord juqu’à l’arrivée aux arrêts pendant que sur les côtés, les badauds déambulent gaiement…

Le résultat : la ville décida en 2003 de creuser un souterrain, afin de libérer complètement le centre ville de toute forme de circulation.

Prix et délais
Bien évidemment, il y a le prix des choses. Beaucoup de grands chantiers ont montré que les coûts finaux étaient bien supérieurs à ce qu’initialement prévu et que les délais n’avaient jamais été respectés. Mais a-t-on songé pour combien de décennies ces infrastructures allaient servir ? Un retard de 2-3 ans apparait alors bien dérisoire quand on sait que presque quatre générations vont profiter d’une infrastructure souterraine.

Quiconque ne regarde pas ces projets sur le très long terme – c’est à dire plusieurs décennies -, développe une vision biaisée de la réalité.

Dans les années 60-70, un métro à Bruxelles était critiqué parce que « la ville est trop petite pour cette technologie ». Peut-on de nos jours se passer du métro à Bruxelles (1,3 millions d’habitants) ? La Jonction ferroviaire Nord-Midi a certes laissé des cicatrices durables dans la culture bruxelloise, mais la concentration des emplois tertiaires dans la capitale de l’Europe suggère qu’aujourd’hui, il parait illusoire de se passer des trains intercity nationaux qui vous déposent à moins de 400m de la Grand Place et à 600m du Parlement…

Londres a aussi dépensé des milliards pour son projet Crossrail, baptisé Elisabeth Line. Ce projet a un retard de 3 années mais promet de relier, avec un train toutes les 3 minutes, l’aéroport d’Heathrow aux quartiers de Canary Warf, en passant par la City, une des plus grandes places financières du monde.

La rotation complète à 90 degrés de la gare de Stuttgart, pour en faire une gare passante, est un chantier associé à un projet de grande large envergure qui étend le S-Bahn là où il n’existait pas encore. Mal défini au niveau financier, amendé, ce projet est malheureusement devenu un contre-exemple manipulé par tous les opposants au béton. Cela ne signifie pas que l’exemple de Stuttgart, capitale régionale de 630.000 habitants, soit un modèle idéal pour d’autres villes de même importance.

À Munich, la construction d’une deuxième ligne S-Bahn à 40m de profondeur, qui dédouble en fait la ligne existante, a commencé vers 2017. Ce projet devrait coûter plus de trois milliards d’euros – sans compter les replanifications. Un coût qui peut paraître énorme pour une telle ville mais il faut compter que cette infrastructure, tout comme celle de Londres ou de Stuttgart, sont là pour 100 ans.

À Madrid, il n’y a personne pour regretter le tunnel de Recoletos. Cette infrastructure qui est entrée en service dans les années 1960 entre les gares de Chamartin et Atocha, accueille sur deux voies près de 470 trains et 200.000 voyageurs. Saturé, le trafic a mené à creuser un second tunnel à deux voies, lequel a été inauguré en 2008 après 4 années de travaux. Comme cela ne semblait pas suffire, un troisième tunnel destiné uniquement aux trains à grande vitesse est en cours de tests. Ce dernier a la particularité d’être doté de l’écartement standard UIC de 1.435mm. Trois tunnels, 6 voies, Madrid rejoint Bruxelles dans les grandes passantes souterraines.

Impact sur l’immobilier
Un autre débat concerne les prix de l’immobilier. L’amélioration des infrastructures de transport locales est généralement considérée comme une bonne chose, tant pour la prospérité économique d’une région que pour les prix de l’immobilier. La proximité d’une station de métro ou d’une gare fait grimper la valeur des propriétés.

En 2016, Transport for London a commandé une recherche pour déterminer si les grands projets d’investissement dans les transports publics avaient entraîné une hausse significative de la valeur des terrains environnants. La recherche a attribué une hausse moyenne des valeurs résidentielles de plus de 50 % suite à l’extension de la ligne de métro Jubilee Line, tandis que les prix de l’immobilier autour des 41 stations de la ligne Elizabeth (Crossrail 1) devraient augmenter de 25 % de plus que le prix moyen dans le centre de Londres, avec une augmentation de 20 % dans les banlieues.

Ce phénomène est visible dans toutes les villes d’Europe. Cela pose des problèmes à ceux qui s’inquiètent de la gentrification de certaines parties des villes. On reviendrait à dire que les grandes infrastructures ferroviaires ou de métro ne profiterait qu’à un public au niveau de vie aisé. Mais il n’est pas sûr que ce soit partout le cas.

En conclusion, les grandes infrastructures souterraines sont certes coûteuses, mais ce prix doit être étalé dans le long terme. Certaines grandes villes ont besoin de passages ferroviaires souterrains, quand d’autres peuvent se contenter, par leur taille, d’un réseau de surface.

Certaines portions urbaines de ces traversées ferroviaires souterraines sont aussi utilisées par les citadins eux-mêmes. Une ville ne peut pas vivre uniquement que de ces habitants. Des flux extérieurs sont nécessaires pour animer la ville, que ce soit en matière de commerces, de culture ou de santé. Le tout est de le faire de manière durable. Mais si on veut que ces investissements soient bénéfiques pour le climat et « la ville apaisante », il faut alors que les autorités locales ferment les rues à l’automobile. Un réseau de tram seul avec des flux de voitures ne rendra jamais une grande ville durable et apaisante. Rues piétonnes et trains en souterrain, on garantit de cette manière à tous un accès direct dans une ville respirable.

Auteur: Frédéric de Kemmeter       mediarail.wordpress.com

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