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Le rail plus encadré par l’État. Pour le bonheur du chemin de fer ?
Depuis une vingtaine d’années, les États semblent reprendre la main sur le secteur ferroviaire, non pas en le transformant en une administration comme jadis, mais plutôt en balisant les dépenses plus drastiquement que jadis. Une bonne affaire pour le rail ?
La récente pandémie a accéléré, au Royaume-Uni, la reprise de contrôle du secteur ferroviaire par l’Etat, avec la fin du système des franchises qui était déjà bien malade avant 2020. Il n’en fallait pas plus pour que les aficionados de l’étatisme décrètent l’échec de la libéralisation, avec tout son cortège de fake news et d’approximations militantes.
On rappelle d’abord que la nouvelle politique ferroviaire britannique continue de déléguer le service des trains à des opérateurs privés. La différence est qu’il n’y a plus de risques sur les revenus et que ces opérateurs sont simplement tenus de faire rouler de trains, qu’ils soient vides ou pleins. Ils ne feront désormais des investissements que si le gouvernement le demande ! On appelle cela le service minimum…
Le Royaume-Uni se rapproche, en fait, des politiques largement développées en Europe du Nord, où on considère qu’il est normal de déléguer un service public à des tiers si nécessaires, y compris dans le secteur ferroviaire.
C’était mieux avant…
Mais le fake news le plus magistral est de tenter de faire croire que jadis, on bénéficiait d’un État fort qui dirigeait le rail en décrétant quels trains devaient circuler.
Or c’est paradoxalement le contraire qui s’est passé. Avec les nationalisations des années 20 et 30, on a en réalité créé des entreprises 100% publiques mais qu’on a laissé vivre dans une relative autonomie, à l’exception de l’essentiel : les finances publiques.
Le secteur ferroviaire a en fait tout simplement été confronté à lui-même et à sa propre tutelle. C’est évidemment louable qu’un secteur puisse prendre des initiatives, même si leurs déficits devaient avoir l’aval des ministres.
Ainsi, les fameux Trans Europ Express, lancés en 1957, étaient une initiative des chemins de fer, en aucun cas des ministres. Idem pour les nombreux trains internationaux : leur définition et leurs déficits étaient systématiquement noyés dans les comptes globaux des opérateurs étatiques, les ministres se contentant de renflouer sans trop regarder l’état des lieux du trafic.
L’UIC, qui regroupe tous les opérateurs d’État depuis 1922, avait réussi à faire le minimum pour que wagons de marchandises et voitures internationales – mais pas les locomotives -, aient une conformité technique pour passer les frontières. Là encore, l’initiative venait du secteur et en aucun cas des gouvernements.
Tailler dans les branches mortes
Mais l’autonomie du secteur ferroviaire fut souvent couplée à un manque de moyens financiers récurrents de la part des États. Les coûts de production du train étant élevé, une première erreur fut de fermer un kilométrage astronomique des lignes ferroviaires pour tenter d’équilibrer les comptes. Les anglais connaissent très bien le nom de « Beeching ». Une fois encore, ces initiatives négatives furent celles du secteur, bien que ces suppressions doivent beaucoup aux pressions des gouvernements qui n’y trouvaient rien à redire…
Cela confirme qu’il y avait donc déjà, bien avant l’Europe, une politique portée par la tenue des finances publiques. Les subsides publics ne consistaient pas vraiment à investir dans des trains, mais surtout à renflouer des frais de fonctionnement. Au début des années 80, le chemin de fer belge coûtait 5% du PIB du pays, pour un apport à l’économie qui devenait douteux. Il était fatal qu’on se pose des questions. C’est probablement ici que les choses ont changé, mais pas dans le sens que l’on croit.
De l’argent, mais pas pour faire n’importe quoi
Les années 80 puis 90 sont souvent dénoncées aujourd’hui comme étant celles du néolibéralisme et du terme très français de « casse du service public ». Pourquoi ? Essentiellement parce qu’on retient de cette période des transformations institutionnelles majeures qui ont permis d’ouvrir une porte facilitant l’entrée du « train alternatif », entendez, des « concurrents ». De même, plusieurs opérateurs ont entrepris de « sectoriser » les services de trains : régional, grande ligne, international, fret, petits colis. Cela a provoqué des remous au sein des entreprises publiques car on savait dès lors publiquement quel secteur était plus déficitaire que l’autre.
Mais la réalité montre qu’au-delà des prémisses de la libéralisation, les États se sont surtout empressés de mettre fin au laissez-faire des années 50 à 80, en encadrant les subsides sous formes de volumes de service de trains à prester.
On est passé du simple renflouement de déficits, au contrat entre parties prenantes, ce qui peut être analyser comme une marque du libéralisme. Car contrat signifie enveloppe financière fermée mais aussi initiatives réduites. Beaucoup de gouvernements ont demandé de faire plus avec moins d’argent.
Cela signifiait « l’évaluation du périmètre de service et la fin des initiatives coûteuses ». Dès l’instant où l’on calculait exactement combien coûte chaque train, il devenait évident que des choix devaient être opérés. Cela signa la fin par exemple des Trans Europ Express et la refonte du fret ferroviaire, qui vivait encore au temps des grandes industries. Les petits colis, « un truc pour la Poste », ont ainsi quitté l’univers ferroviaire. Les trains internationaux ont subi une décrue continue de même que les trains de nuit. Le trafic transfrontalier demeure résiduel malgré des efforts comme le Léman-Express autour de Genève.
On constate avec le recul d’aujourd’hui que l’action de l’État est loin d’être le rêve du renouveau ferroviaire. Il y a pourtant une forte demande pour un État stratège. Les infrastructures, en particulier, accusent leur manque de moyens financiers et dégradent le service. La « renationalisation » du rail britannique a eu comme cadeau de naissance une coupe d’un milliard de livres sterling dans le budget ferroviaire. Cela compromet grandement les électrifications promises depuis des années alors que les opérateurs avaient commandé du « matériel roulant décarboné ». En France, en Allemagne, partout ailleurs, les finances publiques dictent leur loi. Qui est gagnant dans une telle politique ?
Le pire est probablement la pandémie. Qui a demandé en 2020 « d’éviter les transports publics et la proximité » ? Les gouvernements. Qui encourage une vaste turbulence sociale par le biais du télétravail ? Les gouvernements. Qui impose le masque à bord des trains mais pas à bord des autos ? Les gouvernements.
On doit certes louer ces mêmes gouvernements d’avoir pu octroyer un support financier à toute l’économie, du boulanger jusqu’à la grande entreprise. Mais il ne faut jamais perdre de vue qu’un État, c’est avant tout des partis qui font de la politique, et donc des choix. Le désinvestissement dans le réseau ferroviaire est le plus beau poison qu’on peut offrir au rail. Car en face la route progresse, inexorablement.
Alors, s’il y a un réel manque de moyens parce que l’État doit satisfaire tout le monde, autant mettre l’argent disponible là où il est le plus utile : dans des investissements productifs, dans les infrastructures et les gares par exemple, et non dans des frais de fonctionnement ou dans le maintien de dispositions archaïques. Si d’autres acteurs, soutenus localement par les régions ou d’autres acteurs publics, peuvent faire mieux et disposent d’autres sources de financement, pourquoi s’en priver ? Plus nous sommes nombreux, plus nous rénovons le chemin de fer…
Auteur: Frédéric de Kemmeter
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