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Le train peut-il réellement remplacer l’avion ?
Depuis la vague verte et la pandémie, l’idée de remplacer certains vols par le train en Europe a fait son chemin
Credit photo: EurocontrolCe dossier a même pris une ampleur particulière quand en 2020, la plupart des pays furent amenés à intervenir pour soutenir leur compagnie aérienne. En outre, la crise du Covid-19 a mis en évidence les avantages d’un ciel et d’autoroutes vides sur la qualité de l’air et a relancé le débat sur l’opportunité pour les gouvernements d’utiliser l’argent public pour renflouer les industries polluantes, y compris l’aviation. Malheureusement, comme toujours quand la politique s’en mêle, on entre dans le champ irrationnel en décalage complet avec la réalité.
Selon une étude de Deloitte, à l’échelle mondiale, la transport aérien est un puissant moteur de la croissance économique, de l’emploi, du commerce et de la mobilité. Dans le même temps, la croissance de la demande de trafic aérien doit aller de pair avec la réduction de l’empreinte environnementale de l’aviation. L’industrie de l’aviation est l’une des nombreuses industries qui ont un impact important sur les émissions mondiales d’origine humaine. Alors que l’aviation représente aujourd’hui 2 à 3 % des émissions mondiales de carbone, si aucun changement n’est opéré dans le secteur, ce chiffre atteindra 27 % d’ici 2050.
Les arguments actuels tentent de démontrer que la décarbonation des transports passe, notamment, par l’électrification de la motorisation des véhicules. Or les trains sont déjà des véhicules électriques depuis des décennies et peuvent tirer un grand avantage de cette situation. On sait par avance qu’il y a très peu de chances à ce que les avions disposent d’une motorisation électrique, les contraintes étant énormes. En revanche, l’industrie aérienne travaille déjà sur de nouveaux carburants zéro carbone et fait un lobbying intense auprès des gouvernements du monde entier. Le « grand remplacement » de l’avion vers le train, dont rêvent certains, risque de prendre l’eau. Entre les croyances des uns et les études diverses des autres, il est difficile de s’y retrouver. Il est essentiel de bien distinguer plusieurs éléments.
Tout d’abord, le retour à une « vie normale » peut en effet défier les meilleures enquêtes téléphoniques. L’impression domine que la pensée de 2021 peut fortement différer de celle de 2020. Les gens ont beaucoup appris de la pandémie et dès qu’une occasion d’ouverture se précise, les mentalités changent. Le fait qu’en ce mois de juin les embouteillages redevenaient la norme dans les grandes villes et qu’il n’y avait plus une seule place dans les restaurants le soir indique clairement que la population souhaite ardemment retrouver à son mode de vie d’avant 2020. Il peut en être de même pour les voyages. Début juin 2021,Eurocontrol rapportait une forte hausse des vols avec plus de 11.000 par jour, des chiffres certes inférieurs à juin 2019 mais bien supérieurs aux 7.000 vols quotidiens comptabilisés en avril 2021. La vaccination massive et les assouplissements progressifs ne sont pas étrangers à ce redémarrage. Le directeur général d’Eurocontrol, Eamonn Brennan, expliquait justement que « si davantage d’États assouplissent leurs restrictions et mettent pleinement en œuvre des procédures telles que le certificat Digital Covid de l’UE, [nous] pourrions voir le secteur aérien gérer 69 % des niveaux de trafic de 2019 en août. » Des prédictions correctes ? Eamonn Brennan justifie ses prévisions en démontrant que fin janvier « nous avions prévu que le nombre de vols traités par le réseau européen serait d’environ 39% des niveaux de 2019 en mai, ce qui s’est précisément produit. Nous élaborons ces chiffres en étroite concertation avec les différentes compagnies aériennes sur un large échantillon de compagnies et de segments de marché. » Pour beaucoup, la mode ‘flygskam’ n’est pas un « grand remplacement » en faveur du train, mais est destiné à maintenir une forte pression sur l’industrie aéronautique pour qu’elle se réforme et réduise considérablement son empreinte carbone.
Deuxièmement, prendre la problématique du transport au travers de l’idéologie va clairement poser des problèmes d’images. On crée des camps, avec ses bons et ses mauvais, ce qui polarise la société. Des chercheurs qui étudient les profils des consommateurs sur différents marchés en ont récemment identifié un nouveau type : le « voyageur environnemental ». Actuellement, un militantisme écolo intense est en faveur du train. C’est évidemment une bonne chose mais ce militantisme risque de heurter tout une franche de voyageurs qui n’ont que faire des thèses politiques. Affirmer le chemin de fer comme outil politique et idéologique, c’est s’assurer l’échec du transfert modal. Les mêmes chercheurs ont constaté que la sensibilisation à la crise environnementale ne se traduit pas automatiquement par des changements de comportement, comme le fait de préférer d’autres modes de transport à l’avion. Le plus souvent, la distance ou le coût sont des motivations plus puissantes, en particulier pour les vols court et moyen-courriers. Il est donc essentiel que le rail montre un visage le plus attractif possible si on veut que le climat « soit l’affaire de tous », et pas seulement un combat de quelques militants. Il y a encore, sur ce plan, beaucoup de pédagogie à faire d’un côté comme de l’autre.
Troisièmement, les attitudes semblent changer en ce qui concerne la longueur des trajets en train. Selon le groupe bancaire suisse UBS, la tolérance générale pour des voyages plus longs est en hausse, les données d’UBS montrant que les voyageurs d’affaires ne seraient pas contre des voyages de quatre heures et que les voyageurs de loisirs seraient prêts à passer jusqu’à six heures dans le train. UBS pense que l’Europe verra son réseau ferroviaire à grande vitesse croître de 10 % par an au cours de la prochaine décennie. On pourrait même espérer qu’en regardant moins au temps de trajet, les trains de nuit puissent redevenir une nouvelle mode de voyage. Pourquoi pas ? Après tout, s’il est bien conçu, le train de nuit n’est jamais qu’un hôtel roulant. Interviewée par la BBC, Diana Oliveira, une doctorante portugaise qui gère les comptes de médias sociaux The Nerdy Globetrotters, rappelle le problème du port du masque dans les trains. « Si vous voulez être protégé autant que possible, alors un vol semble être une bonne option, puisque le temps d’exposition aux autres est réduit, » argumente-t-elle. « Ensuite, c’est une question de commodité – porter un masque pendant deux heures de vol ou pendant 10 heures dans un train. » Là aussi, le train doit encore montrer son meilleur côté.
En définitive, ce qui frappe le plus dans ce dossier train vs avion, c’est la polarisation, jusqu’aux cercles académiques. Ainsi de nombreuses recherches universitaires semblent vouloir interpréter le mouvement flygskam comme quelque chose de « planétaire ». Elles disent se baser sur des entretiens approfondis avec « beaucoup de monde ». Mais aucune de ces études n’indique le profil socio-économique des personnes sondées, ni la pluralité du panel. L’impression domine qu’on sonde un public déjà militant et partisan de la cause climatique. Combien sont-ils réellement en regard à la population totale ? Nuls chiffres ni mentions. Parfois en cherchant bien, on peut remarquer que certains chercheurs sont plus engagés que d’autres. Méfiance donc. Entre souhait politique et réalité du monde, seule la vente des tickets pourra nous indiquer l’ampleur exacte du transfert modal.
Il faudra aussi s’attaquer aux coûts de production. L'étude provenant de Deloitte, montre clairement que le train est plus cher que certains vols sur 1000km. Faire du train cher à cause d’un tas d’habitudes industrielles rend un très mauvais service au transfert modal. Il est de plus anti-social car le train devient ainsi un moyen de transport pour ceux qui peuvent se le payer. La structure des coûts de l’aérien fait certes débat – notamment au niveau de la taxation du kérosène ou de la TVA sur les billets. Mais on peut difficilement croire qu’en taxant les concurrents du rail, le chemin de fer serait soudainement revigoré. Sur ce sujet, il n’y a pas non plus de consensus entre chercheurs, académiciens et économistes.
Le train, c’est déjà un véhicule électrique dont les émissions de GES sont bien en deçà des autres transports à carburants fossiles. Il convient donc de l’encourager et d’en faire un transport de référence. Cela ne peut se faire que par des acteurs multiples car des sociétés étatiques seules, soumises aux aléas de la politique, n’y parviendront jamais, et l’histoire du rail l’a largement démontré. Faisons en sorte qu’il soit un transport plus utilisé à l’avenir et qu’il plaise à un maximum de personnes.
Auteur : Frédéric de Kemmeter www.mediarail.wordpress.com