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Corridors de fret ferroviaire : quels résultats jusqu’ici ?

Cela fait près de 30 ans que la Commission européenne a lancé diverses initiatives pour booster le transport de fret ferroviaire, qui reste éternellement à la traîne. Parmi les actions, l’instauration de corridors européens où l’on concentre les investissements et la digitalisation. Quelles leçons peut-on en tirer jusqu’ici ?

Corridors de fret ferroviaire : quels résultats jusqu’ici ?

Le programme RTE-T se compose de centaines de projets – définis comme études ou travaux – dont le but ultime est d’assurer la cohésion, l’interconnexion et l’interopérabilité du réseau transeuropéen de transport, ainsi que l’accès à celui-ci. Les projets RTE-T, qui sont situés dans chaque État membre de l’UE, incluent tous les modes de transport.

30 projets prioritaires (ou axes) ont été identifiés sur la base de propositions des États membres et sont inclus dans les orientations de l’Union pour le développement des RTE-T en tant que projets d’intérêt européen. Ces projets ont été choisis à la fois en fonction de leur valeur ajoutée européenne et de leur contribution au développement durable des transports.

Sur ces 30 projets clés, 18 sont des projets ferroviaires, 3 sont des projets mixtes rail-route, 2 sont des projets de transport fluvial et un concerne les autoroutes de la mer. Certains projets, comme le tunnel sous la Manche, le TGV-Nord européen ou le lien Perpignan-Figueras, sont terminés depuis plusieurs années. D’autres sont en cours de construction, comme le tunnel Lyon-Turin, le tunnel du Brenner, la liaison Rail Baltica ou encore le lien fixe Fehmarn Belt. Ce choix reflète une priorité élevée à des modes de transport plus respectueux de l’environnement, contribuant à la lutte contre le changement climatique.

Ce mélange de différents transports n’était cependant pas suffisant pour assurer l’interconnexion ferroviaire, qui est la plus difficile à mettre en œuvre à cause du système d’exploitation des trains basé sur des sillons horaires et des critères techniques très strictes. Des contraintes que la route n’a pas…

De plus, il a fallu faire la différence entre des flux marchandises, généralement plus lents mais plus lourds, et les flux voyageurs basés sur la grande vitesse et les volumes quotidiens. Les 30 projets TEN-T ne reflétaient pas toujours ces spécificités. Cela démontre déjà que le chemin de fer unifié, où on mélange tous les trafics et toutes les politiques ferroviaires, n’est pas la bonne solution. Une distinction entre trafic fret et trafic voyageurs est obligatoire dans une politique de mobilité.

Plutôt que d’éparpiller l’argent des contribuables sur des centaines de petites lignes – ce qui aurait donné lieu à de longs marchandages politiques -, l’idée fut de répertorier les axes qui génèrent de grand flux de trains et de les harmoniser au niveau technologique et d’attribution des horaires. Le concept de corridor de fret ferroviaire était né.

Des routes pour le fret ferroviaire

Les corridors de fret ferroviaires ne sont qu’une partie du concept de RTE-E (TEN-T). Ils peuvent donner lieu à de multiples travaux mais visent plutôt à l’efficacité opérationnelle sur le réseau existant, en utilisant les actifs déjà disponibles. C’est donc une initiative plus ferroviaire que les 30 projets RTE-E.

En 2005, une approche internationale de la gestion des corridors a été promue auprès des gestionnaires d’infrastructures (GI) et des organismes de répartition (OR). En 2010, l’Union européenne adoptait un Règlement relatif au réseau ferroviaire européen pour un fret compétitif (Règlement N° 913/2010 du 22 septembre 2010). Ce règlement demande aux États membres d’établir des corridors internationaux orientés vers le marché afin de relever trois séries de défis. Il s’agit notamment de renforcer la coopération entre les gestionnaires d’infrastructure (GI) sur des aspects essentiels, tels que l’attribution des sillons, le déploiement de systèmes interopérables et le développement de l’infrastructure ; de trouver un juste équilibre entre le trafic de marchandises et le trafic de passagers le long des corridors, tout en garantissant une capacité adéquate et une priorité pour le fret conformément aux besoins du marché et en veillant à ce que les objectifs communs de ponctualité des trains de marchandises soient atteints ; et enfin, de promouvoir l’intermodalité en intégrant les terminaux dans la gestion et le développement des corridors.

L’annexe de ce règlement, telle que modifiée par le règlement (UE) n° 1316/2013, énumère 9 corridors de fret, qui devaient être mis en service par les pays concernés de l’Union européenne (UE) pour novembre 2013, novembre 2015 ou novembre 2020. Siim Kallas, alors vice-président de la commission européenne chargé des transports, dévoilait le 17 octobre 2013 la carte des 9 corridors d’infrastructures prioritaires qui devaient être financés par l’Union européenne, soit environ 26 milliards € par cofinancement pour aider à la construction des maillons manquants transfrontaliers, à résorber les goulets d’étranglement et à accroître « l’intelligence » du réseau.

Ces corridors de fret (appelés RFC en anglais – Rail Freight Corridor), établis en coopération entre les gestionnaires d’infrastructure et les organismes d’allocation de capacité, permettent une circulation internationale harmonisée des trains de marchandises sur un axe transfrontalier. Ils visent à améliorer la qualité de service offert aux opérateurs, en plaçant ceux-ci au centre des préoccupations. L’instauration de ces corridors vise deux aspects :

d’une part, le client ne s’adresse qu’à un seul bureau pour réserver ses sillons horaires, ce qui simplifie l’administration et les délais de réponse;
d’autre part, ces corridors vont faire l’objet d’une rénovation technique, notamment au travers de travaux destinés à améliorer la fluidité du trafic, à rehausser le gabarit au maximum, mais surtout, à implanter le système de signalisation ERTMS, de niveau 1 ou 2, ce qui est tout bénéfice pour l’ensemble du trafic y compris voyageurs.

Chaque corridor de fret ferroviaire est constitué d’une structure de gouvernance à 2 niveaux :

Un Comité exécutif composé de représentants des autorités des états membres concernés ;
Un Comité de gestion composé de représentants des gestionnaires d’infrastructure et des organismes d’allocation de capacité concernés.

Le Comité de gestion crée aussi deux sous-groupes consultatifs :

- Un groupe composé de gestionnaires et de propriétaires de terminaux situés le long du corridor ;
- Un groupe composé d’entreprises ferroviaires intéressées par l’utilisation du corridor.

Les gestionnaires d’infrastructure et les organismes d’allocation de capacité concernés élaborent ensemble, pour chaque corridor, un catalogue de sillons préétablis proposant une offre de sillons internationaux. Ces sillons préétablis sont coordonnés et peuvent être combinés en une seule demande internationale pour pouvoir mieux répondre aux besoins du marché.

Ces sillons sont protégés contre d’éventuels changements majeurs. Outre les entreprises ferroviaires qui disposent d’une licence et d’un certificat de sécurité, d’autres candidats (chargeurs, expéditeurs, …) peuvent demander de la capacité sur les corridors. Pour l’activité de transport proprement dite, le candidat doit désigner une entreprise ferroviaire exécutante, publique ou privée.

Tout nouveau corridor dispose d’un Corridor One Stop Shop (C-OSS). Ce C-OSS est physiquement installé au siège d’un seul manager d’infrastructure désigné pour en assurer la gestion quotidienne. Ce C-OSS simplifie les demandes de sillons pour le transport international par rail. La création de ces C-OSS permet aux demandeurs d’effectuer les demandes de capacité en une seule opération à partir du moment où un train international de marchandises traverse au moins une frontière dans un corridor. Le Document d’Information du Corridor (CID) donne des informations relatives à chaque corridor. Le Path Coordination System (PCS) est l’unique logiciel permettant de passer les commandes de sillons préétablis sur le corridor, via le site web RailNetEurope (RNE).

L’article 18 du règlement (UE)913/2010 relatif au réseau ferroviaire européen pour un fret compétitif exige que les conseils de gestion des RFC publient des documents d’information sur les corridors, en fournissant des informations sur l’infrastructure ferroviaire de chaque corridor de fret ferroviaire, notamment en ce qui concerne les conditions d’accès commerciales et légales, facilitant ainsi la tâche des candidats.

Un modèle à revoir

Toutefois, si l’on constate des progrès en matière de corridors de fret ferroviaire, de fret ferroviaire et de chemins de fer en général, ces progrès semblent toujours trop lents par rapport aux autres modes de transport, à savoir la route, où nous assistons, depuis peu, à des innovations perturbatrices en termes d’automatisation et de numérisation. Bien entendu, cela accroît à nouveau la concurrence entre les modes de transport. Le secteur de la logistique lui-même est sujet à des cycles d’innovation courts, ce qui est un défi pour le transport ferroviaire. Comme l’explique l’association européenne du fret ERFA (European Rail Freight Association), la mise en place des RFC n’a pas encore donné l’élan escompté pour accroître la compétitivité du fret ferroviaire. Peu ou pas de résultats ont été obtenus dans les domaines pourtant prévus par le règlement :

- la coordination des travaux d’entretien et de renouvellement;
- capacité allouée aux trains de marchandises;
- gestion du trafic;
- gestion du trafic en cas de panne;
- suivi de la qualité par le biais d’indicateurs clés de performance.

L’interaction entre les différentes parties prenantes au sein d’un même corridor ne semble pas toujours coordonnée, sans parler de la coordination entre les différents corridors, car de nombreux trains de marchandises circulent sur plus d’un corridor et de nombreux opérateurs utilisent plusieurs corridors.

Dans plusieurs cercles ferroviaires, on reproche une fois encore l’approche trop nationale dans certaines décisions, notamment en ce qui concerne le calendrier des travaux. Or ces travaux ont une teneur politique multiple car cela impacte le trafic voyageur. En politique régionale, on n’est jamais tenté de voir plus loin que l’horizon de son électorat. Le trafic voyageur est prioritaire précisément à cause des objectifs de ponctualité assigné par la tutelle politique. La législation sur les corridors ne peut pas grand-chose contre cela.

Pour prendre comme exemple l’Allemagne, ces corridors seront par ailleurs intégrés dans le système Deutschland-Takt (D-Takt), l’horaire cadencé allemand, qui est un concept exclusivement centré sur le transport voyageur. Il fait l’objet de questions concernant la place laissée au fret ferroviaire dans des horaires figés annuellement et prioritaires pour les taux de ponctualité. Le D-Takt est un projet typiquement national et n’est pas pensé au travers des corridors.

Mais il n’y a pas que des travaux. La maintenance est un point essentiel. Or celle-ci est gérée par des entités locale de chaque manager d’infrastructure. Ce sont ces entités qui élaborent un planning de travail très en amont. Elles doivent décider parfois deux ans à l’avance qu’on va renouveler la caténaire sur 20 kilomètres à telle période de 2023 ou 2024. Or cette période peut ne pas correspondre à l’usure supposée d’un aiguillage, qui devra être renouveler à une autre période sur la même ligne. Cela induit alors un calendrier de travaux qui parait permanent et sans fin. Comme chaque entité ne gère que 100 ou 150 kilomètres d’un même corridor, on peut compter combien il y a d’entités régionales entre Rotterdam et Bâle ou Anvers et Marseille. Chacune avec leur propre planning !

La lente implémentation de l’ERTMS est un autre sujet. Cette implémentation varie d’un pays à l’autre et des objectifs qui sont assignés aux gestionnaires d’infrastructure. Mais d’un autre côté, il y a encore des réticences chez certains opérateurs d’équiper leur matériel roulant, pour des raisons de coûts. L’ERFA n’hésite pas à dire que le coût de la conversion du matériel roulant à l’ERTMS est une menace qui réduira la compétitivité du fret ferroviaire dans toute l’Europe tant qu’il n’y aura pas de solutions de financement en place (sauf au Royaume-Uni). Il semble certain que de nombreux opérateurs ne voient pas encore la plus-value de l’ERTMS alors qu’il s’agit pourtant de la digitalisation du rail que ces mêmes opérateurs appellent de leurs vœux. Comme l’explique Matthias Finger, professeur à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), il s’agit d’un problème typique de la poule et de l’œuf : les investissements ne viendront que si des progrès sont réalisés en termes d’interopérabilité et, inversement, les progrès en termes d’interopérabilité nécessitent davantage d’investissements. Et il s’agit d’un problème beaucoup plus large qui ne peut être traité par les corridors et l’approche par corridor.

Il devenait donc indispensable de voir quelles pourraient être les mesures d’amélioration, d’autant qu’entre-temps, la nouvelle Commission von der Leyen a été installée, laquelle a produit un plan nommé ‘Green Deal’, qui est une chance unique pour le chemin de fer de retrouver une partie de la place qu’il a perdu.

La Commission est actuellement en train de finaliser son évaluation de la mise en œuvre du règlement (UE) 913/2010. La révision du règlement, qui constitue une condition préalable importante pour un fret compétitif et un transfert modal, est l’occasion de passer d’un corridor unique à une approche de réseau européen de corridors de fret ferroviaire.

On peut s’inspirer de l’expérience du secteur de l’énergie : l’intégration solide du réseau de lignes à haute tension aurait été réalisée grâce à une combinaison de facteurs incluant notamment l’existence d’un mandat juridique clair, l’utilisation intensive d’outils numériques (c’est-à-dire la modélisation, les plateformes numériques communes), l’adoption d’outils et de plans communs, ainsi que l' »intention de partager » exprimée sous la forme de résultats clairs. Les principaux défis auxquels sont confrontés les secteurs du rail et de l’énergie semblent être similaires en ce qui concerne la recherche d’un équilibre adéquat entre les niveaux supranational et national.

On peut concrètement s’inspirer aussi d’Eurocontrol et tirer des enseignements du REGRT-E (association regroupant 42 gestionnaires de réseaux électriques dans 35 pays de l’UE), même si le modèle de gouvernance des RFC devra être adapté spécifiquement aux besoins du secteur ferroviaire. Dans une présentation récente à la Florence School of Regulation, l’idée fut émise de mettre en œuvre une approche « descendante » de la gouvernance des RFC, en confiant à une entité supranationale permanente le soin de faciliter l’échange d’informations et la coordination entre les trains de marchandises, qui sont essentiellement de nature transfrontalière. Le coordinateur supranational du réseau ferroviaire serait chargé d’assurer une coordination intégrée et holistique du trafic à un niveau supérieur, ainsi que l’amélioration de la capacité et de la connectivité avec les terminaux qui font partie de l’infrastructure. Ce qui se fait à Eurocontrol serait-il impossible dans le domaine ferroviaire ?

Le 19 octobre 2020, la Commission européenne a publié son programme de travail pour 2021. Dans son annexe I, la Commission a annoncé une initiative appelée ‘Corridor ferroviaire UE 2021’. Elle comprend la révision du règlement 913/2010 et des actions visant aussi à stimuler le transport ferroviaire de voyageurs. L’initiative est prévue pour le troisième trimestre 2021.

Auteur: Frédéric de Kemmeter

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