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Les trains de voyageurs américains toujours à la peine…
Amtrak, l’entreprise subsidiée qui s’occupe des services voyageurs aux États-Unis en utilisant abondamment les voies d’autres opérateurs privés, doit se battre pour obtenir une meilleure ponctualité. Et ce n’est pas gagné.
Amtrak (de son vrai nom The National Railroad Passenger Corporation) est une société à but lucratif créée par le Congrès américain dans le cadre du Rail Passenger Service Act de 1970. Elle assume des obligations de service public voyageurs en échange du droit d’accès prioritaire aux réseaux gérés par des opérateurs ferroviaires privés.“Pourquoi les trains d’Amtrak sont-ils si horribles”, questionne un magazine ? (1)
Le magazine Vox explique que l’échec – considéré comme lamentable -, du transport ferroviaire voyageurs aux États-Unis est le revers de la médaille du succès du transport ferroviaire de marchandises. Les chemins de fer américains transportent une part beaucoup plus importante de marchandises que leurs homologues européens. Le fret ferroviaire est en effet un secteur qui peut être très profitable.
De son côté, Amtrak ne possède qu’environ 970 des 33.800km des voies ouvertes au service voyageur (2), sur lesquelles ses trains circulent. Amtrak est en minorité et représente tout ce que l’Amérique déteste : une entreprise subsidiée (3). L’Amérique lui donne une image de transport pour personnes âgées ou pour personnes sans emploi, des “vagabonds” qui ont le temps. L’Amérique qui “travaille” est au contraire celle qui prend l’avion ou exploite des entreprises rentables. Une caricature ? Sûrement, mais il y a un fond de vérité.
En vertu de la loi fédérale, Amtrak dispose théoriquement d’un accès privilégié à l’ensemble du réseau ferroviaire national, y compris aux propriétés des chemins de fer hôtes telles que les bâtiments des gares, les quais et autres installations à usage des voyageurs :
Accès à toute ligne ferroviaire aux États-Unis;
Utilisation des installations ferroviaires du réseau “hôte”;
Obtention des tarifs basés sur le coût différentiel du réseau hôte;
Préférence d’Amtrak par rapport aux trains de marchandises;
Sillon horaire accéléré.
Mais malgré la loi, ce système d’hôte ne semble pas fonctionner avec la satisfaction voulue. Il n’existe actuellement aucun moyen pour Amtrak de faire valoir ses droits de préférence. Selon l’opérateur national, ses services continuent de subir des retards importants alors que les lignes appartenant précisément aux chemins de fer de fret ont bénéficié d’investissements publics, par exemple en augmentant la capacité des voies sur les voies partagées pour améliorer la fiabilité des services de fret et offrir de la croissance aux opérateurs privés.
Politiquement puissant
Le poids du secteur du fret ferroviaire est aujourd’hui écrasant aux États-Unis. Son déclin important jadis, dans les années 60 et 70, avait abouti au Staggers Rail Act de 1980, qui a largement déréglementé l’industrie ferroviaire. Aujourd’hui, ce secteur est considéré comme l’un des systèmes de fret les plus dynamiques au monde. Ce secteur de 60 milliards de dollars est exploité par sept chemins de fer de classe I (chemins de fer dont les revenus d’exploitation sont de 433,2 millions de dollars ou plus), 21 chemins de fer régionaux et 510 chemins de fer locaux. Les chemins de fer de fret américains fournissent également 221.000 emplois dans tout le pays et sont des organisations privées qui sont responsables de l’entretien et de l’amélioration de leurs propres actifs. La majorité des investissements sont destinés à l’entretien du matériel roulant, tandis que 15 à 20 % des dépenses d’investissement, en moyenne, servent à améliorer la capacité (4). Dans ce contexte, Amtrak ne représente qu’un petit puceron…
Une voie ferrée inadaptée
Les trains de fret n’ont pas besoin de vitesse mais de capacités. Des trains de 3 à 5.000 tonnes sont susceptibles, même à faible vitesse, d’abîmer la voie. Les rails sont écrasés et usés rapidement. Au moins les trains roulent vite, au plus on peut reporter la maintenance et les réparations. Cette politique est contraire à l’exploitation d’un chemin de fer de voyageurs moderne où circulent des trains à 130 ou 160 km/h. La vidéo ci-dessous n’est certes pas représentative de l’ensemble du réseau ferré américain, alors que certaines voies sont heureusement mieux entretenues.
En 2016, dans une tentative d’évincer définitivement Amtrak, la puissante Association of American Railroads (AAR) fut favorable à ce que les chemins de fer aient la possibilité de donner la priorité aux trains de marchandises par rapport aux trains de voyageurs. Mais le Surface Transportation Board (STB, le régulateur américain) a retiré cette proposition et décida de considérer comme “essentiel” la ponctualité des arrivées et des départs dans toutes les gares pour les trains de voyageurs. (5)
L’affaire dépassa par la suite le seul cadre du secteur ferroviaire puisque les plaintes ont été déposées… par les clients du fret ferroviaire eux-mêmes. Les associations des secteurs de l’automobile et de l’alimentation animale et des céréales exprimèrent « de sérieuses inquiétudes quant à la fiabilité du réseau ferroviaire de fret du pays. » Face à ces plaintes, le STB demanda des rapports à six chemins de fer de classe I : BNSF, Canadian National, Canadian Pacific, CSX, Norfolk Southern et Union Pacific.
L’idée vînt alors à Amtrak de fournir elle-même un rapport de situation. Le premier a été dévoilé en 2018, classant six réseaux de chemins de fer de classe I sur base des données horaires et de la fréquence de leurs retards, ce qui faisait baisser les performances de deux des opérateurs de fret en particulier (6). Une vidéo de la compagnie est diffusée pour expliquer les retards endémiques.
Au cours des trois années 2017-2019, dans un système typiquement américain, Amtrak a payé en moyenne environ 32,8 millions de dollars chaque année en guise “d’incitatifs” aux chemins de fer hôtes de fret ferroviaire. Malgré cela, pour les 9 premiers mois de l’exercice 2019, la société indiqua que les chemins de fer de fret étaient responsables d’environ 59% des retards sur ses itinéraires longue distance.
Tout cela a conduit à l’idée de permettre à Amtrak de franchir une étape supplémentaire : poursuivre “les réseaux hôtes” qui ne respectent pas la loi des priorités. Un sénateur de l’Illinois, Dick Durbin, a présenté un projet de loi qui donnerait à Amtrak le droit d’intenter une action en justice contre les opérateurs de fret si l’activité sur les voies affecte la ponctualité du transporteur de passagers.
Combien “coûte” un voyageur en retard ?
Cette manière typiquement américaine de régler un problème sème le doute : faut-il faire fonctionner un chemin de fer de voyageurs correct par le biais d’une armée d’avocats ? On peut alors mesurer à quel point le système européen est en définitive plus efficace, même si inversement en Europe, ce sont les opérateurs de fret qui subissent le même sort qu’Amtrak.
Surtout, en Europe, la gestion des voies ferrées est restée une compétence d’État, que ce soit par le biais d’une entreprise indépendante ou par une société intégrée au sein d’un opérateur historique. La législation européenne oblige chaque réseau à accepter tout nouvel opérateur, munis des conditions d’accès ad-hoc. Il y a encore des conflits, mais la grande différence en Europe est que le réseau est avant tout conçu pour le service ferroviaire voyageurs, ce qui rehausse la qualité des voies. Les trains de marchandises ont aussi quelques limites de poids à l’essieu et n’abîment pas autant la voie.
Il est peu probable qu’une solution acceptable soit trouvée aux États-Unis, tant les intérêts sont conflictuels. Certains commentateurs, comme Jim Blaze du magazine ‘Railway Age’, n’hésitent pas à comparer le retard voyageur et marchandise en termes de “coûts”, ce qui ferait hurler en Europe. « Ce sont les clients du fret qui paient des coûts entièrement répartis pour l’ensemble des voies et des capacités de la compagnie ferroviaire. Amtrak ne paie qu’une fraction de ce que nous appelons les coûts évitables des compagnies de chemin de fer. La valeur des retards estimée par Amtrak pour ses trains longue distance est relativement faible comparée à ceux de la logistique. »
Une solution à l’européenne ?
Le problème pourrait être solutionné par des lois solides qui doivent être respectées par tous les opérateurs, avec des contrôles périodiques. Amtrak étant une compagnie d’État, le Congrès devrait demandé des comptes chaque année aux opérateurs privés, par exemple en mettant dans la balance certains subsides pour des travaux de réseau avec les taux de ponctualité.
Le projet de loi du sénateur de l’Illinois va peut-être remettre les choses en ordre. « Certaines compagnies ferroviaires sur lesquelles Amtrak opère ont ignoré la loi sur la préférence des trains de voyageurs pendant beaucoup trop longtemps, retardant nos clients de plus d’un million de minutes en 2018 » expliquait l’an dernier l’ancien CEO d’Amtrak, Richard Anderson. « Le Rail Passenger Fairness Act est un texte législatif essentiel et nous sommes impatients de travailler avec le Congrès pour faire avancer son examen. Ce projet de loi met les gens au premier plan et nous aide à amener nos clients là où ils veulent aller à l’heure ». (7)
Nous allons être très attentif à la suite donnée à ce projet d’amélioration des services voyageurs aux États-Unis, alors qu’Amtrak est toujours accusée de manger des subsides publics sans moderniser ses trains et son exploitation…
Terminons par cette note positive du New York Times Magazine qui explique qu’Amtrak s’accroche à l’espoir qu’un jour, les gens verront ses services non pas comme quelque chose qu’ils doivent craindre et détester, mais comme quelque chose qui est vraiment agréable et qu’ils ne détestent plus. (8)
(1) 2016 – Vox – Matthew Yglesias – Amtrak turns 45 today. Here’s why American passenger trains are so bad.
(2) Le réseau total est de 250.000 kilomètres de voies
(3) 1997 – Cato Institute – Stephen Moore – Amtrak Subsidies: This is no Way to Run a Railroad
(4) United States Department of Transportation – Freight Rail overview
Source : Mediarail / Frederic de Kemmeter
(5) 2016 – Progressive Railroading – STB withdraws proposal to prioritize freight trains over Amtrak
(6) 2018 – Supply Chain Dive – Edwin Lopez – Amtrak blasts freight railroads’ ‘undisciplined’ operations
(7) 2019 – Daily Kos – Amtrak’s late because of freight train precedence? Fine, let’s sue the freight companies!
(8) 2019 – The New York Time Magazine – Caity Weaver – The train across America