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Un chantier ferroviaire pas comme les autres : le Y-Basque en Espagne

La nouvelle ligne à grande vitesse Vitoria – Bilbao – San Sebastian – frontière française, en réalité appelé Y-Basque, fait partie de la branche atlantique du projet prioritaire n° 3 de l’Union européenne, et concerne en territoire espagnol la ligne Madrid – Valladolid – Vitoria – frontière française. L’occasion de faire le point sur ce long chantier.

Un chantier ferroviaire pas comme les autres : le Y-Basque en Espagne

En Espagne, cette ligne reliera les trois capitales de la Communauté autonome basque et rapprochera le Pays basque du reste de la péninsule et de la France. En outre, la nouvelle infrastructure ferroviaire sera reliée à Pampelune par le « Corredor Navarro ».

Dès sa mise en service, les temps de trajet en train seront considérablement réduits pour les trois capitales basques. On peut ainsi compter que le temps de trajet entre Vitoria-Bilbao et Vitoria-San Sebastián sera réduit d’environ 60 %, et de 80 % pour la liaison Bilbao-San Sebastián.

Les travaux avancent, certains ouvrages d’art terminés n’attendent plus que les rails, mais le projet a pris des années de retard tout en étant sujet à de multiples dates d’ouverture. Près de 41 ans se seront écoulés depuis qu’Abel Caballero, aujourd’hui maire de Vigo, lorsqu’il était ministre, a commencé à parler du « Y basque » et deux décennies se sont déjà écoulées depuis que la première pierre a été posée.

Les spécificités de la politique en Espagne


Il faut connaître toutes les subtilités de la politique espagnole dans le contexte basque et catalan que l’on connait. Le train à grande vitesse espagnol AVE est une compétence exclusive de l’État central. En 1999, le gouvernement espagnol avait vaguement annoncé un projet visant à relier toutes les capitales provinciales à Madrid par le rail en moins de 4 heures. Sans plus…

Mais le pays Basque ne visait pas prioritairement, on s’en serait douté, à une liaison rapide avec Madrid. La région autonome a notamment usé du « fait régional » pour asseoir ses vues. La Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest explique qu’à la différence d’autres projets de LGV en Espagne, le Y-Basque a toujours été conçu comme un outil de structuration interne de la région. Alors qu’en Espagne les projets de lignes à grande vitesse ont été définis comme des lignes permettant la connexion d’une région ou d’une ville (normalement) avec Madrid, mais aussi avec l’Europe, dans le cas basque le projet fait plutôt référence à l’idée de réseau régional.

Contrairement à d’autres régions espagnoles, le pays basque avait en fait déjà une expérience ferroviaire à faire valoir. Le ministère des Transports basque intervient en effet, depuis sa création dans les années 1980, dans la planification d’une série d’infrastructures de transport au niveau régional. En matière ferroviaire, le ministère des Transports gère déjà à travers le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire Euskal Trenbide Sarea (ETS) et l’opérateur de transport (Eusko Trenbideak) le réseau métrique régional, mais pas le reste du réseau ferroviaire, qui reste du ressort de la Renfe (puis plus tard de l’Adif pour les voies et les gares). Cette responsabilité ferroviaire régionale a probablement donner des ailes au gouvernement basque dans la mise sur l’agenda d’un programme de modernisation du réseau ferroviaire basque, incluant donc la grande vitesse. Mais qu’en était-il alors des compétences ?

Pour faire pression et demander au gouvernement central espagnol la réalisation effective du projet, l’administration basque actionna un autre levier en jouant sur le fait que le projet de train à grande vitesse faisait – et fait toujours -, partie d’un projet prioritaire européen au sein des fameux RTE-T (le couloir Atlantique). Un projet régional argumenté au travers d’une idée européenne…

Au début des années 2000, près de vingt ans après la première ligne entre Madrid et Séville, la tension entre Lakua (le siège du gouvernement basque) et le Fomento à Madrid devînt palpable, avec des volées de bois vert par médias interposés.

En décembre 2002, le gouvernement basque lançait lui-même un appel d’offres pour la rédaction des projets de six tronçons du « Y-Basque », un terme qu’on exigeait voir apparaître en lieu et place de « AVE ». Il s’agissait davantage d’un geste symbolique, car les travaux ferroviaires devaient de toute manière recevoir l’aval de Fomento, lequel est aussi le seul habilité à recevoir des fonds communautaires du Feder et de la Banque européenne d’investissement (BEI). Les téléphones ont donc vivement chauffé.

On vous passe les détails rocambolesques et les passes d’armes conséquence des élections espagnoles et basque, avec ses changements de majorité, ses coulisses et ses tractations diverses. Toujours est-il qu’autour de 2004-2005, le projet avait deux cahiers des charges, un basque et un espagnol ! Ebullition et pression maximale de part et d’autre…

Retenons surtout que l’impasse entre les gouvernements régional et central a officiellement pris fin en avril 2006 avec la signature d’un accord entre l’administration générale de l’État, l’administration générale du Pays basque et l’ADIF, gestionnaire des infras ferroviaires, selon lequel l’ADIF (puis plus tard ADIF Alta Velocidad, une filiale du gestionnaire Adif créée en 2014), restait responsable de l’étude du projet et des contrats de construction couvrant les tronçons entre Vitoria-Gasteiz et Bilbao dans les provinces d’Araba et de Bizkaia. De son côté, pour marquer le « fait régional », le gouvernement basque se chargeait lui-même de l’infrastructure du tronçon de Gipuzkoa (vers San Sebastian).

On parle ici du génie civil, car les aspects purement ferroviaire voie-caténaire-signalisation resteront une compétence exclusive de ADIF Alta Velocidad.

Le contrat de construction du premier tronçon de l’Y était attribué le 26 avril 2006, deux jours après la signature du fameux accord, pour montrer la bonne volonté de chacun…

L’Union européenne, quant à elle, joua au début un rôle mineur au travers du programme de réseaux transeuropéens. Dans la période 2000-2006, 16 millions d’euros furent accordés pour la réalisation des études dans le cadre des aides RTE-T. Dans la période de programmation 2007-2013, le projet fît l’objet d’une aide d’environ 55 millions d’euros sur le budget RTE-T.

Mais en juin 2022, l’Union européenne donnait un coup de pouce plus important, en décidant d’accorder 145,4 millions d’euros pour la construction du « Triangle de Bergara » (nudo de Bergara, voir plus bas). Ce montant était le plus important parmi les 216,5 millions d’euros approuvés pour sept projets de transport en Espagne dans le cadre du programme « Connecting Europe », qui vise à améliorer les réseaux de transport et à promouvoir la mobilité durable.

Côté technique

Comme pour ses autres lignes à grande vitesse, les différentes lignes de ce Y sont construites à l’écartement UIC standard 1.435mm et auront une configuration de type 3, pour un tracé mixte fret/voyageurs, avec des courbes d’un rayon minimal de 3.100 m et des pentes maximales de 15 millièmes par mètre.

L’ADIF et ETS ont chacun établi leur propre cahier des charges. Avec quelques différences techniques : l’ADIF a ainsi fixé la vitesse de conception maximale à 250 km/h, tandis que l’ETS a opté pour une vitesse de 220 km/h, ce qui la met en dessous des critères de l’UIC (V250). L’argument d’une vitesse moindre tient aux courtes distances entre les trois villes, où les gains de temps liés à des vitesses plus élevées seraient minimes.

Dans les faits, les trains de voyageurs pratiqueront donc des vitesses de 220 à 240 km/h, tandis que les trains de marchandises rouleront jusqu’à 120 km/h. Comme la ligne est mixte fret/voyageurs, l’itinéraire desservira également deux plateformes logistiques : l’un à Jundiz près de Vitoria-Gasteiz et l’autre au port de Pasaia, à l’ouest d’Irún.

Ces nouvelles lignes devraient permettre d’effectuer Bilbao-San Sebastian en 0h38 au lieu de 2h40, Vitoria-Bilbao en 0h28 au lieu de 2h20 et Vitoria-San Sebastian en 0h34 au lieu d’1h40. En avril 2019, le département des transports du gouvernement basque annonçait que les trois capitales provinciales seraient reliées par des trains à la demi-heure aux heures de pointe, avec 21 voyages par jour sur chacun des trois axes. Il reste à voir si ce sera réalité…

Génie civil important


Le relief tourmenté de toute la région font que le génie civil est très important. Dans une orographie telle que celle du Pays basque, il est coûteux de tracer des rayons très larges et des profils essentiellement horizontaux. Cela fait d’ailleurs penser au projet entre Stuttgart et Ulm, dont un tronçon vient d’être ouvert. Ou aux différents projets autour d’Oslo dont nous avions déjà parlé. Le projet tel qu’il se dessine comprend 80 tunnels, et potentiellement deux de plus si la liaison entre Basauri et Bilbao-Abando est enfin décidée.

Cumulés, la longueur des tunnels totaliseraient 104,3 km et représenteraient 61 % de la longueur totale de l’itinéraire. Les viaducs comptent de leur côté pour un total de 17 km, soit tout de même 10% des tracés, ce qui ne laisse que 50,6 km, soit 29 % du tracé à même le sol, en tranchées ou en remblais.

Le nombre moyen d’ouvrages singuliers sur l’ensemble de la ligne, qu’il s’agisse de tunnels ou de viaducs, est de 71% du parcours.

Parmi la longue liste des tunnels, on peut retenir ceux d’Albertia (4.786m), d’Udalaitz (3.185m), de Zarátamo (2 .728m), d’Induspe (2.224m), de Galdakao (1.827m) ou encore du Ganzelai (1.365m)

Certains des viaducs parmi les plus remarquables sont le viaduc sur la route A-2620 : 1.401m de long avec ses piles jusqu’à 90 m de hauteur. Ou encore les viaducs de San Antonio-Malaespera (837 m), de Mañaria (616m) ou surplombant la route A-3002, la N-1 et la rivière Zadorra, avec ses 505 m.

Le fameux nudo de Bergara

Lorsque le Y sera achevé, la distance entre Gasteiz et Bilbao devrait tombé à 73,8 km, tandis que le tronçon Gasteiz-San Sebastián aura une longueur de 103,9 km, étant entendu qu’il y a en réalité un tronc commun entre Gasteiz et le Triangle de Bergara (nudo de Bergara), qui est le véritable Y du projet basque, composé de cinq tronçons. Ce Y, qui rappelle celui des Angles au sud d’Avignon, permet de créer une troisième section Bilbao-San Sebastián de 108,9 km.

Environ 60% des tracés sur les trois côtés du triangle sont en tunnel, et 10% en viaduc. Des jonctions en hauteur ou souterraines sont nécessaires à chacune des extrémités, mais ce n’est qu’à l’extrémité ouest qu’il y a une jonction en plein air.

La zone où le Nudo est construit est ponctuée de trous et de cavernes., ce qui pose des problèmes pour la construction des tunnels et des galeries d’accès. D’autre part, des problèmes financiers et légaux sont apparus. Les appels d’offres furent adjugés en septembre et octobre 2015 pour ensuite été annulées en raison de problèmes financiers parmi les entrepreneurs sélectionnés. Les appels d’offres furent alors relancés en janvier 2018 et les contrats d’une valeur de 384 millions d’euros ont été signé l’année même. Mais il y a encore eu d’autre contraintes liées à l’environnement.

Le Nudo est en effet situé dans une zone d’intérêt scientifique spécial, avec trois formes rares de faune et de flore. Railway Gazette raconte ainsi qu’au moment de la réattribution des contrats en 2018, un couple de vautours avait commencé à nicher à proximité. Leurs activités ont entraîné la suspension des travaux de janvier à mai 2019, d’avril à juin 2020 et de mars à septembre 2021. Parallèlement, le dynamitage de certaines parties du Nudo a été interdit lorsque huit colonies de chauves-souris ont été découvertes en train d’hiberner dans les grottes de Kobaundi.

La question des accès urbains


Elle agite les trois villes, Vitoria-Gasteiz, Bilbao et San Sebastian. L’enjeu : des gares actuellement étriquées qui doivent accueillir des voies à l’écartement UIC 1.435mm. Cela paraît un détail mais en Espagne, cela suppose soit de spécialiser des voies à cet écartement, et donc d’encore rétrécir l’espace concédé aux voies larges espagnoles, soit d’enfiler un troisième rail sur les voies existantes. Deux conceptions qui ne conviennent ni l’une ni l’autre, de part leur complexité. Du coup on songea à enterrer les voies UIC, comme on l’a fait à Gérone. Mais qui va payer ?

Le coût d’une profonde transformation des gares et de leurs accès agite forcément ces villes, car on a affaire alors à des transformations urbaines considérables qui peuvent être une opportunité, mais qui ressortent d’autres budgets. Tractations avec le Fomento de Madrid, le gouvernement basque, les gouvernements provinciaux et les mairies concernées…

L’engagement des institutions pour l’arrivée de la grande vitesse à Vitoria et Bilbao a été signé en février 2022 avec l’accord entre le ministère des Transports et les mairies de Vitoria et Bilbao, qui comprend une mission de gestion pour le gouvernement basque dans la réalisation des travaux de génie civil pour les accès aux deux villes. Une option temporaire de gare TGV à voies UIC à Basauri, à l’entrée de Bilbao, est dans les cartons, avant la réalisation complète « d’une descente » sous la gare principale de Bilbao-Abando. Pour l’occasion, Raquel Sánchez, la ministre des Transports, de la Mobilité et de l’Agenda urbain avait fait le déplacement à Vitoria pour présenter ces accords institutionnels et indiquer sa volonté de mener à bien ces projets. Jusqu’ici, seule l’entrée à San Sebastian a été approuvée. Reste à déternminer celle de Bilbao et Vitoria.

« Il s’agit de projets complexes. Cela signifie parfois que nous ne pouvons pas suivre le rythme que nous voudrions« , a admis la ministre au journal El Diario, qui a voulu souligner le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’un projet ferroviaire, mais aussi de grands projets de régénération urbaine dans les deux villes les plus peuplées du pays basque, ce qui implique d’autres budgets.

>>> Voir l’excellente documentation et les plans précis du Fomento concernant Vitoria et Bilbao.

Se raccorder à la France


Le projet basque se termine en principe à San Sebastian, non loin de la frontière française. Contrairement à Vitoria et Bilbao, la descente de 3km entre la fin de la ligne nouvelle à Hernani et la gare principale a donc déjà été décidée et se fera à double écartement. Ce sera donc la première des trois gares à être reconstruite pour les services à grande vitesse. Des appels d’offres ont été lancés fin 2019 et un contrat de 42 mois d’un montant de 80,4 millions euros a été attribué.

Pour rejoindre la France, il a été décidé en 2013 une mise à double écartement de la ligne existante San Sebastián-Irún via Errenteria et Oiartzun (en rouge sur la carte). L’idée, écartée pour son coût, de pousser jusqu’à la frontière française par une ligne de contournement (en bleu sur la carte), demeure pour le moment un trait de crayon. Les lieux, fortement urbanisés côté basque, tout comme à Hendaye, Saint Jean de Luz, Biarritz et Bayonne, auraient été l’argument pour créer, selon un accord de 2011, une déviation prévue autour du sud de l’agglomération San Sebastián-Irún jusqu’à Behobia, à la frontière française.

On ignore jusqu’ici qu’elle est la position française dans le cadre du projet GPSO. Il y a peu de chances que « la ligne bleue » apparaisse un jour au milieu des paysages basques, car cela implique de manière logique une coordination avec Nouvelle Aquitaine. On est pratiquement certain qu’on en resterait au bipôle Hendaye-Irun pour passer d’un pays à l’autre.

Les travaux de mise à double écartement sont (petitement) en cours entre San Sebastian et Irun. Ils ont débuté en février 2022 pour un investissement de 53 millions d’euros et c’est l’Adif – et non l’ETS basque -, qui est à la manœuvre. Les travaux comprennent des interventions sur l’infrastructure, la voie, la caténaire et les systèmes de sécurité tout au long du parcours de 20 kilomètres, l’adaptation des tunnels, des ponts métalliques, des gares et des arrêts pour les situations de trafic mixte revêtant une importance particulière.

L’ouverture complète du Y basque n’est pas encore arrêté malgré de nombreuses déclarations. Les travaux sont cependant fortement avancés au niveau génie civil. Mais il y a encore tout le reste, les voies, les aiguillages, la caténaire et la signalisation. Tout n’est pas encore figé. Dernièrement, une des options d’entrée en ville de Bilbao a été décidée, avec une gare qui aura des quais souterrains et dont on vous parlera dans une prochaine chronique.

Le Y-Basque avance, on évoque à voix (très) basse 2027, mais il y a encore beaucoup de travail. Par ailleurs, bien que non concerné par le Y-Basque, un autre chantier redémarre après des mois d’incertitudes, celui du tronçon reliant Venta de Baños et Burgos, qui ferait maintenant face à sa dernière ligne droite pour devenir une réalité.

En outre, en juillet 2022, le gouvernement espagnol autorisait la suite du programme avec le tronçon à grande vitesse Burgos-Vitoria, une ligne de 101,3 kilomètres de long dont le coût est estimé à 1,5 milliard d’euros. Cette nouvelle ligne représente le dernier maillon de l’axe complet Madrid-Vitoria-frontière française.

L’inauguration intégrale de la ligne Madrid-Vitoria permettra ironiquement de rapprocher le siège du gouvernement basque à un peu plus de 2h du Fomento de Madrid…

Auteur : Frédéric de Kemmeter       www.mediarail.wordpress.com

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