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06
'20
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MEDIAWORLD
Connaissez-vous Pesa, le mini Stadler polonais ?
Les allemands, qui disposent sur leur territoire d’une industrie ferroviaire abondante, s’apprêtent à nouveau à faire rouler dans la région montagneuse du sud de l’Allgäu, en Bavière, des autorails polonais, dûment certifiés. L’occasion de vous présenter un inconnu, PESA.
Récemment, le redouté organisme d’homologation allemand EBA a délivré ses autorisation de circulation pour des autorails de la Deutsche Bahn classés VT 633, autrement dit des autorails du polonais PESA, un fournisseur inconnu de nos contrées atlantiques.Plantons d’abord le décors polonais. En 2001, la société PKP Przewozy Regionalne (PKP PR) était créée, laquelle se concentrait sur le transport régional et local. Elle peut être assimilée à une sorte de DB Regio au sein du “groupe PKP”, qui se restructurait en filiales. Par ailleurs, la Pologne est divisée depuis 1999 en seize voïvodies que l’on peut assimiler à des régions, avec assemblée délibérante et pouvoirs propres. Parmi ceux-ci, la gestion du transport ferré local, ce qui fait penser aux Länder allemands, la Pologne n’étant cependant pas un État fédéral. En 2008, PKP PR fut détaché complètement du groupe PKP avec le rachat des parts par les 16 voïvodies, devenant récemment Pol Regio. En 2015, l’Agencja Rozwoju Przemysłu SA (ARP SA), – une “Agence de développement industriel” appartenant au Trésor polonais, a repris 50% des parts.
Certaines voïvodies ne participent cependant pas à Pol Regio, comme les chemins de fer de Silésie Koleje Śląskie qui exploite 15 lignes régionales, si bien que le paysage ferroviaire régional semble aussi fragmenté qu’en Allemagne ou en Suisse. Chacun de ces chemins de fer régionaux peut commander le matériel roulant de sont choix. C’est donc bien une politique de régionalisation qui fut entrepris, sous l’égide de l’État central. Pol Regio ne gère que 26% du trafic local de toute la Pologne, quand “le reste” est disséminé sous divers autres entreprises sous contrats de délégation de service public. Ces ensembles doivent maintenant acquérir du matériel roulant pour faire oublier les blafards EN57 qui ont marqué deux générations du temps de “l’expérience socialiste”…
La construction ferroviaire en Pologne
Jusqu’en 1997, la fabrication des nombreuses automotrices du réseau polonais se faisait à l’usine de Pafawag à Wrocław , en monopole complet, qui pris fin dès les années 2000 quand la société passa chez Bombardier. PESA, (anciennement ZNTK Bydgoszcz), et qui signifie aujourd’hui Pojazdy Szynowe Pesa Bydgoszcz, est un constructeur ferroviaire basé à Bydgoszcz (prononcez “Bédegosh”), à mi-chemin entre Poznan et Gdansk. L’entreprise est en concurrence frontale avec un autre constructeur national, Newag, ainsi que Stadler Rail Polska, qui fournissent sur le même marché et remportent tous des contrats. La Pologne est donc bien fournie en matière de construction de matériel roulant.
PESA fournissait déjà des autorails et des automotrices aux “gouvernements autonomes” de manière sporadique et se mit aussi à fabriquer des trams. En difficulté vers 2016/2017, PESA, qui avait raté quelques commandes phares, fut repris par le Polish Development Fund (PFR) – une société anonyme polonaise de droit public appartenant au Trésor polonais. A cette époque, un échec pour l’obtention de la certification de ses trains en Allemagne avait provoqué un gros trou dans la trésorerie. L’obtention récente par l’EBA est donc une très grande nouvelle pour ce constructeur gazelle qui cherche à se frayer un chemin entre les éléphants Siemens, Alstom, Bombardier et Stadler.
Pesa Bydgoszcz tente de couvrir toute la gamme des produits matériel roulant, avec des succès mitigés. Elle a tenté ainsi de vendre sa propre gamme de locomotives sous le nom générique de Gama. Ces engins aptes au 3 kV DC, 15 kV AC ou 25 kV AC sont proposés pour des vitesses allant jusqu’à 190 km/h en trafic voyageurs et jusqu’à 160 km/h en fret, de même que pour la version diesel. Une douzaine d’engins seulement seraient en commande, pour des opérateurs exclusivement polonais.
Le véritable cœur de métier du constructeur est plutôt les véhicules automoteurs, incluant les trams. Un créneau plus porteur qui comprend notamment (on va faire très court) :
- La famille Acatus, qui connu un premier échec dû au plancher trop haut, conçu seulement pour les quais de Varsovie et Gdansk, et qui entraîna le développement de l’Acatus II, plus adapté aux nombreux quais bas issus de l’histoire du chemin de fer polonais au temps glorieux du Rideau de Fer… Ces engins ne respectaient pas la norme crash PN-EN-15227 (résistance de la structure) ce qui les rendait invendables à l’étranger.
- La famille dite Elf (plancher bas), un modèle qui rappelle fortement les Talent 2 de Bombardier et les Desiro ML de Siemens, fut construite à la suite des Acatus et présentée pour la première fois à la foire polonaise Trako à Gdańsk en octobre 2011. La nécessité pour les véhicules ferroviaires de répondre aux spécifications techniques d’interopérabilité a signifié la mise en service, dès 2016, de la série Elf II et Elf.eu, cette dernière ayant reçu une commande du privé tchèque RégioJet dans le cadre de ses opérations locales en Tchéquie. Près de 135 unités Elf tous types sont actuellement en phase de fourniture ou déjà livrées.
- Le premier vrai produit d’exportation de PESA fut l’autorail diesel Atribo. Depuis 2008, ces véhicules roulent en Italie sous la classification ATR 220 sur les lignes du Ferrovie del Sud Est, en tant qu’autorail tri-caisses à plancher bas, en 27 exemplaires. Par la suite, d’autres commandes eurent lieu en Italie, notamment aux Ferrovienord sur Brescia-Iseo-Edolo et dans les environs de Bologne sous la marque Trenitalia Tper, qui en possède près de 12 exemplaires, sans compter Trenitalia qui en possède 40 exemplaires sous le nom de Swing. Des exemplaires ont été commandés par des voïvodies polonaises, PESA faisant état d’une centaine d’engins livrés.
- Enfin la famille Link, qui est celle mentionnée plus haut. Un autorail diesel qui circule déjà en Allemagne sur le Niederbarnimer Eisenbahn dans les environs de Berlin depuis 2016. Bartosz Piotrowski est l’auteur de la très disruptive silhouette extérieure et de l’intérieur des véhicules de cette famille. Cette famille circule aussi en Tchéquie pour le compte de l’entreprise historique Ceske Drahy en tant que série 844. L’arrivée de cette famille ne s’est cependant pas faite sans mal en Allemagne, les réseaux propriétaires se plaignant de dysfonctionnements. Les Link ont aussi été victimes de non-respect des délais, ce qui nous mène aux trains livrés pour l’Allgäu, eux-mêmes en retard de deux années…
Dans le Bahn-Manager de cette semaine, il est fait mention d’une livraison d’autorails Link à DB Regio. Confiance, dorénavant ? Krzysztof Zdziarski, nouveau président de PESA, y explique que « nous avions dit il y a un an que PESA avait une nouvelle stratégie. » Et ces grands cafouillages au niveau des délais ? « L’une des raisons était que l’entreprise voulait développer et produire trop de nouvelles choses trop rapidement » Au site polonais Nakolei.pl, il poursuit : « Nous regardons [ndlr : la problématique des délais] de façon réaliste. Nous produisons de très bons véhicules, mais nous devons améliorer les délais. Et cela implique la nécessité d’améliorer notre discipline interne. Nous sommes capables de produire des véhicules et nous le ferons à temps et à un bon niveau. »
PESA fournit encore d’autres matériels roulants : « Nous sommes également diversifiés dans de nombreux autres domaines, et c’est un gros avantage de Pesa, non seulement en termes de produits, mais également géographiquement. » L’entreprise opère notamment sur le marché du reconditionnement des voitures voyageurs, de certains types de locomotives et de wagons marchandises. Y aura-t-il un hybride diesel-électrique dans l’offre PESA, diesel-électrique ou hydrogène ? « Nous analysons le marché, je n’exclus pas qu’un tel véhicule apparaisse dans notre offre. Nous travaillons avec des fournisseurs capables de nous fournir des composants qui nous permettent de construire un tel autorail hybride. Nous n’avons pas vu de forte demande jusqu’à présent. Nous voulons travailler de manière à préparer le véhicule à l’alimentation en hydrogène. La configuration des véhicules est légèrement différente, car le diesel biplace n’est pas échangeable contre de l’hydrogène. Mais nous travaillons pour que l’évolution se produise, surtout du point de vue de l’utilisateur. »
PESA, un Stadler de l’Est ? Certainement pas, l’entreprise polonaise est un nain face à l’ex-mini Stadler devenu un géant mondial de 8.800 employés, sans comparaisons possibles. En revanche, Stadler devra peut-être faire attention à ses prix, car il n’est pas seul sur son marché. Si Krzysztof Zdziarski arrive à faire produire dans les délais des automotrices et autorails de très bon niveau, l’Europe pourrait lui tendre les bras.
Mediarail / Frédéric de Kemmeter